« Nostalgique ? »
Je sursautais en me retournant, une main sur la dague que je portais toujours fortement attachée à ma cheville, mais me détendit en reconnaissant Tristan. Il me sourit. D’un de ses rares sourires. De ceux qu’il ne réserve qu’à moi.  
Il s’approche en enlevant la veste de sa tunique pour venir s’installer à côté de moi et prend une de mes mains dans lesquelles trône un pendentif. Vestige d’une époque révolue. Celle où j’étais riche mais…
« Non »
Tristan haussa un sourcil en entendant ma réponse.
« Mais je ne veux pas oublier…  »

Une enfant avide de liberté. Voilà ce que j’étais, ce que je suis et ce que je serais. Seul Tristan m’avait comprise…L’avoir rencontré et la plus belle chose qui me soit arrivée.

Je suis née, le soir de Noël, sous le nom de Jehanne Cosette de Montpensier et j’étais la deuxième fille du Comte de Montpensier, Arthur de Montpensier, et d’une jeune lady anglaise, Gwenhwyfar Bedford. J’avais un grand frère, Gildric, une grande sœur, Adaline, et une petite sœur, Eudoxie. Je tachais de montrer le bon exemple à ma cadette comme ma grande sœur l’avait fait pour moi. Mais, honnêtement, tout ça me pesait. Je ne me sentais pas à ma place. Je trouvais du réconfort dans la musique et le chant. Un jour, mes parents ont bien vu que j’étais malheureuse et m’ont proposée de me changer les idées. Je fus donc envoyée à Vensat, région voisine du domaine de Montpensier, aussi régit par un membre de ma famille.
Je me rendis à la demeure familiale d’un de mes oncles, le frère de ma mère, où je passais les plus beaux moments de ma vie. Les arts et la poésie me ravissaient… Puis, un jour, tout bascula.

Un homme de mon père arriva. Il me salua d’un « Madame » approprié à ma position en me disant qu’il devait parler, à moi et à mon oncle, de toute urgence. Je le conduis dans le dédale de la demeure que j’occupais depuis quelques mois et nous arrivâmes au bureau principal. Ce jour-là fut le plus horrible de ma vie…Mon frère, ma sœur aînée et mon père étaient morts dans l’incendie de l’étable… Faisant de moi une héritière. Mais je ne pouvais pas administrer le domaine seule étant une femme…Je n’en avais aucunes envies, de toute façon. Car, pour moi, les seuls héritiers possible s’appelaient Gildric de Montpensier et Adaline de Montpensier…Mais il étaient morts. Leurs morts furent le plus grand drame de ma vie. J'adorais mon père et j'étais très proche de mes aînés. J'admirais Adaline qui était tout en grâce, beauté et charité. Sa fortune personnelle passait dans les églises pour les besoins des plus démunis tandis que Gildric...Il fut simplement le premier homme que j'ai aimé. Pas d'un amour incestueux bien sur mais il fut le premier à me voir telle que j'étais, à voir que ma position de noble me pesait et il parlait toujours en ma faveur. Le perdre...Ce fut comme perdre un morceaux de mon âme. A ce moment, tout en y trouvant du réconfort, j'ai haï Dieu de m'avoir arraché ma famille...Même si ma mère et Eudoxie étaient toujours vivantes. J'avais perdu ma grande sœur que je considérais comme mon modèle et les deux hommes de la famille.

Les conseillers de mon père avaient donc pris une décision. Mon père avait eu un ami très proche et parent de ma Mère, décédé à ce jour, qui avait eu un fils, Gauvin. Un garçon de 10 ans. A la mort de son père, il nous avait été confié et Père l'avait élevé comme son fils. Il était le plus proche de la famille et, donc, le plus apte à hériter du titre de Comte de Montpensier... Bien que je pense que ce garçon était un sacrifice sur l'autel de l'ambition de ses proches.
Gauvin, 10 ans, et moi Jehanne, 20 ans, nous nous retrouvions donc mariés par procuration. Ce dernier finissait une formation intellectuelle à Paris. Lui à la capitale et moi à Vensat, nous ne nous sommes pas vus le jour de nos noces. Ce ne fut qu’un an plus tard que je rencontrais mon époux, le jour même de son anniversaire. J’avais du mal à croire que cet enfant de 11 ans était devenu mon mari mais, heureusement, ce dernier était encore trop enclin aux jeux d’enfants et nous neumes pas à obéir à nos devoirs d’époux.

Pendant trois ans, ma vie fut ennuyeuse. Par respect pour mon père, j’aidais Gauvin à administrer notre domaine et nous étions secondés par ma mère, devenue Comtesse douairière, mais je ne trouvais rien, à part dans mes passions de toujours, de bien stimulant. Parfois, je dus l'administrer toute seule car Gauvin devait toujours honorer ses études et ses précepteurs. Je regrettais Vensat que j'avais du quitter après mon mariage. Petit à petit, des envies de liberté et de rébellion grandirent en moi jusque au jour où je décidais, une nuit, de m’enfuir de chez moi pour me rendre au lac à côté du château.

Je m’y baignais puis sortant du lac, je fus attaquée par un brigand. Il ne m’a pas violée, bien que je craignais qu’il le fasse. Mais il me ramena chez lui. Je n’eus aucuns mal à savoir ce qu’il voulait. De l’or, de l’argent. Il fit chanter ma famille pour m’échanger contre des biens. Ma famille obéit mais je ne rentrais jamais chez moi. Tristan, mon geôlier, et moi tombèrent amoureux. Je voyais en lui cette liberté sur laquelle j’avais été tenté de faire une croix.

Nous prîmes, ensemble, la décision de faire croire aux De Montpensier que j’étais morte. Ne sachant pas écrire et ne pouvant guère l’aider - déjà parce que mon éducation (étant une femme) n’était pas des meilleures et que ma famille aurait vite découvert le pot-aux-roses car un paysan ne pouvait pas savoir écrire – nous leur envoyons mon mouchoir préféré avec ma paire de boucles d’oreilles…Couverts de mon sang.

Depuis ce jour, je vis avec Tristan. Je suis légalement morte. Je pris le nom de Iseult Svanhilde Constantine. Ma famille ne fut pas dure à convaincre car, de passage dans mon ancien chez moi, j’entendis les villageois dire que Eudoxie avait épousé Gauvin. Je m’en voulus mais hors de question de leur prouver ma survie…J’avais enfin trouvé un sens à ma vie.

J'avais 23 ans quand j'ai changé de vie. Quand j'ai préféré l'amour et la liberté à l’exigence de la charge de noble et de Comtesse de Montpensier. Cela fait donc 2 ans que je vis comme une paysanne et que je vis avec Tristan dans son petit village. Aux yeux de tous, je suis une jeune femme amnésique que Tristan et sa famille ont recueillis. J'avais d'abord été contre. Pourquoi ferais-je semblant d'être amnésique? J'aurais très bien pu me faire passée pour une autre et inventer une histoire. Mais Tristan avait dit qu'il avait peur pour ma sécurité et que, si on me retrouvait, il fallait une bonne excuse. Si ma famille me retrouvait en vie, le fait qu'elle me pense amnésique aurait expliquer pourquoi je n'avais pas donné de nouvelles. Je n'aurais qu'à, après quelque mois, faire mine d'avoir retrouvé la mémoire. Tristan était près à tout pour me protéger et, bien que je lui en voulais pour ça, il me prouvait qu'il m'aimait.

Je me liais facilement aux deux petits frères et, plus particulièrement, aux deux petites sœurs de Tristan. Ces dernières m’enseignèrent l'art de vivre à la campagne et j'y trouvais plus de bonheur et de contentements dans cette vie que celle d'avant. Je me pris de passion pour l'herboristerie et Tristan, qui vendait parfois du bétail et le fruit de ses récoltes dans de grandes villes, achetait des livres pour moi. Je devins vite Conteuse et voir le sourire sur le visage des enfants de mes clients était un vrai bonheur... Et je ne compte pas m'arrêter.