Je suis innocente !
Lorsqu’elle naît le 16 février 1291, le nourrisson qu’est Jeanne déçoit son père, Othon IV de Bourgogne. En effet, première enfant du remariage de son père avec Mahaut d’Artois, Jeanne a le désavantage de ne pas être le fils tant souhaité. Même si elle pouvait hériter de son père à sa mort, il est imaginable pour Othon de voir son cher comté passé dans une autre famille à la suite d’un mariage.
Malgré le fait qu’elle soit une fille, Jeanne a pu bénéficier d’une éducation exemplaire pour une dame de son époque en tant que l’héritière du comté de Bourgogne. Connaissant ainsi très tôt ses psaumes et les évangiles, la vie de la jeune Jeanne a été rythmée par les travaux d’aiguilles et l’apprentissage de tout ce qui ferait d’elle une bonne épouse.
Seulement, la vie de Jeanne bascule en 1300 avec la naissance d’un troisième enfant de Mahaut et d’Othon. Cette naissance est celle de l’héritier tant attendu par le père de Jeanne. Ce petit enfant, nommé Robert en l’honneur du père de Mahaut, bouleverse totalement la succession au sein du comté. Ainsi, contrairement à la naissance de sa sœur cadette Blanche en 1296, Jeanne perd son rang d’héritière de son père avec l’arrivée de ce nouveau membre dans sa famille.
Ce changement, Jeanne l’a perçu avec une grande amertume malgré son âge. Pourquoi lui a-t-on retiré tout ce qu’on lui a promis ? Telle a été la question que la petite fille n’a eu de cesse de se poser pendant les mois suivants la naissance de Robert et qui a eu le cœur brisé de voir son père concentré son attention exclusivement à son fils. En cherchant l’amour qui faisait défaut du côté paternel, Jeanne s’est un peu plus rapprochée de sa mère Mahaut. Ressemblant beaucoup à celle-ci par son caractère au contraire de sa sœur Blanche considéré comme plus frivole, Jeanne a alors été instruite par sa mère aux affaires du comté d’Artois. Cet enseignement lui a toujours semblé légitime, n’en déplaise à son cousin Robert d’Artois, la destinée du comté est mieux assurée par sa mère que par lui, si jeune et sans expérience.
Seulement, cet enseignement n’a pas débuté tout de suite à la naissance de Robert. Non, celui-ci a commencé après la longue agonie d’Othon à la fin de l’année 1302. Jeanne, toujours aussi proche de sa mère, l’a épaulé du mieux qu’elle l’a pu dans cette tragédie familiale. Son père mort en 1303, sa mère devient la régente du comté de Bourgogne pour son fils Robert, bien trop jeune pour régner par lui-même.
Orpheline de père, la petite Jeanne s’est découvert grâce à l’enseignement de sa mère une passion pour la politique. Etant désormais à nouveau l’héritière de son petit frère tant que ce dernier n’aurait pas d’enfant ou étant appelée à exercer la régence si sa mère bien-aimée disparaissaient bien trop tôt, Jeanne s’est alors pris à rêver d’un mariage digne du très beau parti qu’elle est.
Ce brillant mariage souhaité par la jeune fille se réalise en janvier 1307 grâce aux intrigues de sa mère Mahaut. Même dans ces rêves les plus fous, Jeanne n’aurait imaginé que la proposition de la comtesse d’Artois faite des années plus tôt aboutirait et la ferait ainsi bru du roi Philippe le Bel. La rencontre des futurs mariés a eu lieu quelques mois auparavant lors de festivités à la Cour et ils sont rapidement entendus puis aimés sincèrement.
Rapidement enceinte, Jeanne a eu la joie d’assister au mariage de sa sœur Blanche avec son beau-frère Charles en février 1308. Ce bonheur familial a perduré pendant plus de 6 ans pour Jeanne. Appréciant énormément les plaisirs de la cour avec sa cousine Marguerite de Bourgogne et sa sœur, la jeune femme a su devenir l’une des dames les plus en vue de la Cour, étant l’épouse de Philippe de France, l’enfant préféré du Roi. Cette insouciance de vivre a été parachevée en 1313 avec la naissance d’un fils nommé Philippe. Première des brus de Philippe le Bel à avoir un fils, la position de Jeanne au sein de la Cour de France était alors assurée après avoir donné plusieurs filles à son mari qu’elle chérit profondément. De plus, cet enfant pouvait permettre au couple d’espérer être appelé à régner si jamais le fils aîné, Louis, venait à mourir sans descendance male.
Seulement, ce bonheur s’effondre en 1314 avec le scandale de la Tour de Nesle qui a jeté l’opprobre sur les brus du roi de France qu’on accuse d’adultère. Jeanne, éclaboussée par cette affaire alors qu’elle n’a cessé d’avoir une conduite irréprochable, n’a jamais cru à de telles accusations envers sa sœur et sa cousine. Même si dans de lointains souvenirs elle peut admettre qu’elle a décliné une invitation de prendre un amant, la pieuse comtesse de Poitiers n’a jamais eu de cesse que de clamer son innocence et celle de ses belles-sœurs. Si elle n’a jamais changé sa ligne de conduite durant toute l’affaire, Jeanne s’est vue emprisonnée par son beau-père qui la croyait coupable elle aussi. Après tout, si Marguerite de Bourgogne et Blanche de Bourgogne ont avoué, pourquoi la dernière accusée dirait-elle la vérité ?
Enfermée à la forteresse de Dourdain, les cheveux coupés pour rappeler à tous qu’elle avait prétendument fautée, Jeanne a continué envers et contre tout de clamer son innocence alors que tous l’abandonner. Réclamant de subir l’ordalie pour prouver sa bonne foi, la jeune femme s’est réfugié dans la prière pour recevoir un secours de son mari ou de sa mère.
Peu informée par ses geôliers, Jeanne a appris des semaines après les faits la mort de son beau-père le roi et de sa cousine. Si la mort du roi n’a entraîné que des prières pour le salut de l’âme du défunt, le décès de la dernière a entraîné un désespoir auprès de Jeanne qui a ainsi entrevu la funeste possibilité qu’elle pourrait mourir également dans sa cellule.
Néanmoins, ces décès ont permis à la captive de connaître à nouveau la visite de sa mère Mahaut qui faisait tout ce qui était en son pouvoir pour la délivrer avec l’aide de son mari Philippe. Cette attention a alors réconforté Jeanne, devenue comtesse de Bourgogne à la suite de la mort de son frère au début de l’année 1315. Après tout, si on faisait tout pour la délivrer, c’est qu’on la croyait innocente.
Son innocence confirmée par un acte du Parlement, Jeanne a pu profiter des premières chaleurs de l’été à sa sortie. Seulement, si elle a repris la place qui est sienne à côté de son époux, la comtesse de Bourgogne a été désenchantée à son retour à la Cour. Beaucoup continuent de la croire effectivement coupable, quand bien même elle n’a jamais cessé de dire son innocence. De plus, l’illusion qu’elle a entretenu durant sa captivité que Philippe la sait innocente s’est déchirée dans les premiers jours de sa libération.
Savourant avec une douce reconnaissance sa liberté retrouvée, Jeanne s’est concentrée à profiter de ses enfants au cours du mois de juillet 1315. Aigrie par l’attitude de Philippe et de sa mère durant sa captivité, blessée au plus profond d’elle-même, Jeanne a alors profité de ces moments de plénitude pour se préparer à la vengeance contre ceux qui l’ont si injustement accusé. Tant que la nouvelle épouse de Louis X n’aura pas d’enfant mâle, la comtesse demeure la potentielle future reine de France et elle compte bien utilisé ce statut pour faire chuter ceux responsable du scandale de 1314 tout en essayant de protéger ses enfants et sa sœur captive de la Malédiction qui semblait être à l’œuvre.