Full of scorpions
is my mind.
« Votre regard, sur ma personne, s’en trouverait à jamais changé. » Avait dit la bête cette nuit-là. L'alcool brûlant son gosier et émoussant sa prudence. Son imposante stature avait ployé sous le poids de ses vices quand les mots eux, brûlaient ses lèvres, avides d’être enfin libérés. La tendre persistance du cardinal, après des mois à se tenir côte à côte, commençait à payer un peu à la manière dont les vagues érodaient les falaises à force de venir les lécher. Ses doigts jouant avec un quignon de pain, il avait détourné son regard azuréen et s’était perdu si longtemps dans la contemplation des flammes que son vis-à-vis devait avoir perdu tout espoir de le voir se confier enfin. Mais il avait enfin commencé à se libérer, plus à un ami qu’à un homme d’Eglise au travers duquel rayonnait le jugement divin.
Pour rendre la chose plus aisée, il avait débuté avec ce qui nourrissait le mieux sa mélancolie, son innocence perdue. Bien que rustre et malhabile avec les mots, il avait essayé de rendre justice aux terres qui l’avait vu naître. L’apprêté du Gévaudan qui avait marqué les fondations de sa personne. La sauvagerie de ses jeux d’enfants, des peaux de bête sur les épaules, qui n’avaient fait qu’inscrire le goût de la guerre dans ses chairs. L’absolue certitude, depuis toujours qu’il suivrait les traces des noms les plus illustres de sa famille, sa naissance l’ayant condamné à ne jamais être maître de sa terre nourricière.
La tendresse avait ceint ses traits quand il avait évoqué Marguerite, sa fiancée, et ses escapades aventureuses sous ses jupes aux moments où il devenait un homme. De cet amour qui l’avait transfiguré et qui, alors qu’il cherchait à faire voile vers d’autres contrées à la chaleur de braise, sous la bannière des templiers, lui donnait l’ancrage dont il avait besoin.
« Je devais lui payer une bague avec mes deniers de soldat. Vous savez. » Il avait souri, en pensant à son genou planté dans la terre fraîche, sa cotte de maille sur les épaules, ses doigts délicats dans le creux de sa paume.
« Pas tant parce qu’on avait batifolé dans le foin et qu’elle avait fait de moi un homme avant que je me lance dans la bataille. Mais parce qu’elle emplissait le moindre de mes souffles. Je me souviens de la couleur de ses cheveux, blonds comme nos blés en plein été. Et du grain de beauté sur son sein gauche que j’aimais embrasser. Je la voulais grosse de mes enfants. J’aurais acheté un lopin de terre pour nous. J’avais le sentiment que c’était une vie honnête. »Une grimace avait alors grimé ses traits. Le voyage jusqu’à Chypre avait été un enfer.
« La nourriture ne voulait pas rester dans mon ventre. Elle ressortait par tous les orifices qui m’étaient connus. Si je tenais, c’était pour la croix rouge qui barrait mon torse. Il m’a fallu traverser les enfers pour comprendre à quel point les idoles sont dangereuses. La guerre, mon ami, est laide, quelle qu’en soit la raison. Nous nous croyons portés par le souffle divin mais nous étions une légion de démon s’abattant sur le monde. C’est pour cela, vous savez que l’on nous a tourné le dos ensuite. Personne ne pouvait nous contempler sans voir les morts qui s’alignaient derrière nous. » Murmura-t-il, ayant à ce point presque oublié la présence de son silencieux confesseur. Il n’était jamais parvenu à oublier la puanteur de corps que l’on brûle. Le souvenir de cette odeur le réveillait parfois la nuit. Il beuglait alors comme un damné, les griffes de ses morts plantés dans son poitrail.
« Ce que j’ai vu ces années-là… Ce que j’ai laissé faire, c’est ce qui a tué ma Marguerite. » Pataud, il avait essuyé la morve qui lui coulait sur le visage du revers de la main. Le regard mangé par les flammes.
« Je suis parti comme un héros. Je suis revenu comme un rat. Cent fois je me suis baigné mais je puais toujours autant la mort. J’ai fini par effrayer les miens et ils m’ont chassé de la maison comme si j’étais un rien. Je ne leur donne pas entièrement tort. Mon âme est noire des vies que j’ai prises. Ni pour un Dieu, ni pour un Roi mais pour une couverture et une soupe chaude. »Cette fois il avait arrimé son regard à la face du Cardinal. L’homme était singulièrement beau, dans sa neutralité. Il demeurait silencieux, conscient que toutes les vérités n’avaient pas encore été dites. Guilhem flancha, et se détourna de lui. Une entaille béante gisait en son âme. Un lugubre rictus froissa son faciès.
« S’il y a un Dieu pour pardonner cela, je ne peux croire en lui. » Trancha-t-il, définitif.
« Vous ne devriez pas mieux. Je ne réponds plus qu’à la tempête du chaos. Même sous terre, mes restes empoisonneraient le sol de leur vilainie. Il faudrait me brûler. » Il avait achevé sa confession ainsi, jetant entre les griffes affamées du feu un raisin qui s’était aussitôt ratatiné dans le brasier.
Chronologie rapideDécembre 1279 : naissance de Guilhem. Il est le deuxième d’une famille de 6.
Jusqu’en 1290 : Il s’épanouit sur les terres d’Alenc, devient un homme en apprenant les codes de la chevalerie et l’art du combat. Véritable force de la nature, il se sent destiné à devenir Templier. Quittant famille et fiancée, il s’engage auprès de l’ordre et fait route vers Chypre.
1290 – 1307 : Les années sombres. Arraché à son berceau, Guilhem se perd sur les terres brûlantes de l’Orient. Il assiste à des massacres sans nom et à l’agonie de l’ordre des Templiers. Lors de l’arrestation de Jacques de Molay en 1307, il décide de rentrer chez lui, passant par l’Italie. Il ne retrouvera son Gévaudan chérit qu’en 1310.
1310 – 1312 : Guilhem ne trouve pas d’Asile. Sa bien-aimée auprès de laquelle il souhaitait revenir n’est plus. Sa famille le conspue et le chasse. Se croyant damné, et pour la sauvegarde des siens il accepte de disparaître. Il échappe de peu à la chasse aux sorcières menée contre les templiers.
1310 – 1314 : Il vend les services de son épée aux plus offrants. Il n’est alors plus que l’ombre d’un homme et la mort semble lui taper sur l’épaule.
Fin avril 1314 : Il entre au service du Cardinal de Pellegrue. La singularité de l’homme transforme sa vie. D’abord son sauveur, alors qu’il est pourtant bien celui qui tient l’épée, Arnaud devient son confesseur, puis son ami. Mais c’est aujourd’hui bien plus qu’une simple affection qui fond de Guilhem l’ombre du Cardinal. Après quelques mois au service de l’homme il se met à brûler d’une nouvelle flamme, celle de l’amour. Comme une renaissance.
1315 : L’Angleterre se trouve être une terre de découvertes. La cour du Roi Edward fait naître une nouvelle détermination dans le cœur brut du chevalier : celle d’avouer son amour à Arnaud.