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 a mere dream | Guilhem

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Le loup

Le secret dévoilé
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Arnaud de Pellegrue


Arnaud de Pellegrue
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MessageSujet: a mere dream | Guilhem a mere dream | Guilhem EmptySam 11 Juin - 21:22

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Arnaud & Guilhem
« You, sir, are the most phantom-like of all; you are a mere dream. »
-  Charlotte Brontë, Jane Eyre






Sa sœur Estelle venait d’accoucher d’un nouvel enfant, et c’était pourtant de la main de leur mère que la missive annonçant la nouvelle avait été écrite, d’un tracé fébrile de vieille femme dont la vue baissait un peu plus chaque année. En des termes d’une neutralité toute factuelle, Isabeau de Got l’informait de l’état de santé de la mère te de l’enfant, ainsi que des dispositions prochaines qui se verraient prises afin de célébrer le baptême du nouveau-né, organisé bien trop prestement pour qu’Arnaud ait le temps de régler ses affaires en souffrance et d’effectuer le voyage jusqu’à leur demeure. Qu’il n’en éprouve aucune déception, surtout : Paris se trouvait si loin, un tel périple se serait avéré si éreintant pour lui, doté de tant d’obligations aussi prestigieuses qu’impérieuses. La constitution du bébé semblait bonne, mais l’on ne savait jamais, les bambins se trouvaient si fragiles à cet âge, il ne fallait prendre aucun risque, si par malheur le Seigneur le rappelait à Lui... Ainsi donc, elle lui présentait leurs respects à tous, en espérant que son séjour à la Cour continuât de lui être agréable.

Et rien de plus.
À vrai dire, quiconque aurait lu par pure curiosité l’unique feuillet qu’avait reçu le cardinal en fin d’après-dîner aurait pu se méprendre, et croire ce dernier écrit par un intendant, ou un parent éloigné chargé de transmettre jusque dans les ramifications les plus lointaines de leur famille l’annonce de l’arrivée d’un nouveau membre parmi eux. La noble dame avait eu elle-même une si nombreuse progéniture qu’aimer sans égal chacun d’entre eux ne paraissait tout simplement pas réalisable, alors qu’à l’époque, tout ce petit monde piaillait dans ses jupons et qu’à présent, trop de temps s’était écoulé pour que de tendres liens puissent avoir une chance de se voir tissés. Le religieux avait cependant été sincèrement heureux en découvrant les lignes tracées à la plume, animé d’une authentique joie en découvrant le cadeau que le Ciel avait offert à sa sœur aînée. Que cette dernière ne lui ait pas écrit en personne ne l’étonna ni ne le peina : la pauvre devait encore être alitée, épuisée par des heures de travail, elle ne pouvait décemment rédiger des brassées de courriers, même pour ses frères et sœurs. Quand bien même eût-elle été capable de s’attabler devant son écritoire, tous deux n’avaient pas pour habitude d’échanger une correspondance extrêmement abondante, ou seulement une correspondance tout court. Il était presque amèrement paradoxal de penser que l’archidiacre échangeait bien plus avec ses cousins, eux aussi au service du trône de Saint-Pierre, au sujet de l’avenir d’Avignon… Seule Isabeau prenait encore la peine de brièvement lui narrer ce qui occupait les jours de la demeure familiale ainsi que des filles et fils de leur lignée disséminées dans toute la région, voire même au-delà, au gré de leurs mariages, de modestes attentions dont son fils se contentait avec gratitude, à la manière d’un marin qui, loin de chez lui, chérirait la dernière amarre le rattachant à la rive.

Sans qu’il ne sût réellement pourquoi, cette lettre demeura dans un coin de sa tête durant toute la soirée, fantôme lointain tourmentant sa tranquillité d’esprit à la manière d’un détail sur lequel il était impossible de mettre la main. Durant tout le dîner, et quoi que la compagnie qu’il offrit à Leurs Majestés fût aussi agréable qu’à l’ordinaire, le propre plaisir que prit l’homme d’Eglise à rompre le pain avec le couple royal ne se révéla point total. Assis devant le feu crépitant dans la large cheminée occupant l’une des pièces de ses appartements, une fois retiré, de Pellegrue crut un instant effleurer la solution : Clémence et Louis, jeunes mariés, formaient à eux seuls une famille, un noyau certes enchâssé dans un réseau tentaculaire d’alliances et de relations de parenté complexes, mais uni, indestructible, l’initiation d’un foyer dont le futur, couronné de succès et de nombreux descendants, ne pourrait que se révéler heureux. Ils étaient deux, seulement deux, et c’était comme si leur monde se résumait à cela, aux affinités indéniables les réunissant ; Arnaud, lui, appartenait à une multitude dont chaque membre paraissait replié sur lui-même, coupé des autres… À moins que ce ne fut que son cas précis, et il s’agissait au fond de ce qui le tracassait un peu.

Un peu seulement, oui, alors qu’une pièce de fourrure posée sur ses genoux drapés de rouge afin de le tenir au chaud, l’ecclésiastique laissait son regard s’absorber dans la paisible danse des flammes, et le craquement du bois se consumant. C’était bien la première fois que de telles pensées traversaient l’océan aussi paisible qu’enjoué de son tempérament, ce qui ne lui ressemblait pas vraiment, il l’admettait sans mal. De l’allégresse aurait dû teinter son cœur de légèreté, alors pourquoi se questionner sur ce qui permettait d’affirmer que des êtres, réunis par le même sang, formaient une famille, une vraie famille. Aucune tristesse ne se nourrissait de ses réflexions… Pas véritablement, pas au sens propre. L’on ne pouvait ressentir de la détresse, lorsque Dieu se trouvait dans votre vie. Vous n’étiez en aucun cas laissé pour compte. Vous pouviez toujours compter sur Sa présence, sur Son soutien. Invisible, intangible, parfois si ténu que douter devenait immensément séduisant. Le cardinal, cependant, n’était pas homme à se laisser aller à semblable errance : il n’avait que de vagues questions quasiment philosophiques, à un frôlement de la rhétorique… Entre ses doigts, la lettre de sa mère reposait, sagement immobile, quoi qu’elle eût perdu l’attention de son destinataire. Celui-ci, la joue droite appuyé contre son poing, avait abandonné sa conscience à un vagabondage imperceptiblement morose.

Un mouvement trop vif, dans le jeu d’ombres peuplant les murs, lui fit réaliser qu’il n’avait plus pour compagne que sa paisible solitude.

-… Oh Guilhem, c’est vous, salua-t-il son garde du corps avec un léger sourire amical, le reconnaissant sans la moindre peine ni la moindre réelle surprise. Je vous prie de m’excuser, je crains de m’être laissé aller à rêvasser.

D’un geste, le prince de l’Eglise lui indiqua la chaise à côté de lui, également tournée vers l’âtre de manière à former son parfait symétrique par rapport à l’axe traversant le manteau de pierre, tout en se redressant sur son siège, sur lequel son corps, sans le réaliser, s’était légèrement affalé.

-Je ne vous ai point entendu approcher… Vous êtes décidément des plus félins.

Sa fragilité physique, indéniable, ainsi que peut-être celle, intime, que le prêtre ne montrait que rarement, furent ainsi cachées sous le couvert d’une taquinerie bienveillante,  tournées à la plaisanterie comme si en ce bas monde, il n’avait jamais rien eu à craindre, de quiconque. Pourquoi Arnaud aurait-il eu à s’imaginer pareille chose ? Tout était merveilleux, tout allait pour le mieux, puisqu’il servait Dieu avec dévotion, et que Ce dernier le lui rendait au centuple. Que demande de plus.






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Le loup
Guilhem de Villaret

Guilhem de Villaret
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MessageSujet: Re: a mere dream | Guilhem a mere dream | Guilhem EmptyDim 12 Juin - 17:05

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Arnaud & Guilhem
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Son sang noble aurait dû l’aguerrir à ce genre d’exercices et de lieux. Les possessions de sa famille n’auraient pas eu à lui donner à rougir devant ducs ou comtes. Il avait des manières, ou en tout cas il avait appris à une époque comment chaque personne se devait d’être saluée selon son rang et dans quel ordre user de ses couverts. Mais une part de l’ancien templier avait toujours méprisé toutes ces simagrées et si la vie à la cour de France était essentielle en ces moments pour le jeune Cardinal qui avait ses services, Guilhem ne pouvait s’empêcher de se languir de la vie à la campagne. Même les longues balades dans les jardins ne lui apportaient pas la sérénité que la nature soufflait dans ses os tant l’homme tenait déjà à tanner sa rébellion et sa dangerosité et au final tout ce qui faisait sa singulière beauté.

Puisqu’entre ces murs, Arnaud était en sécurité et qu’il allait sûrement être submergé par des conciliabules sans fin, Guilhem s’était invité à une partie de chasse. Il avait enfilé avec plaisir ses culottes en cuir élimé et ses vieilles bottes confortables, des affaires qui lui permettraient de patauger dans la boue sans trop se soucier de ce que sa mise pourrait engendrer comme commentaires. Et c’était également une excellente façon de laisser en sommeil et d’épancher la soif des démons ayant pris possession de ses fibres. A leur violence, il ne savait plus que répondre par un déchaînement égal sans comprendre qu’il affirmait leur grippe sur sa conscience. Ce jour-là, les bois avaient entendu ses prières. Il avait beau l’eau fraîche qui filtrait à travers ses doigts comme au calice rempli de vin de messe. Et la présence du divin avait chauffé ses épaules, guidé son bras et glorifié la troupe d’un faon bien gras.

Il était donc revenu au palais dans de très bonnes dispositions. Cela signifiant que son air patibulaire devenu tristement célèbre avait été troqué contre une mine affable et que son regard n’avait pas l’air aussi vide que le fond de cul d’une bouteille. Il avait festoyé aux cuisines, plus qu’il n’était recommandable et une douce chaleur courrait dans ses veines avec l’aide de quelques verres de vins. Il avait pratiqué de maigres ablutions de chaton mais ses doigts et ses ongles étaient toujours incrustés de terre et de sang. Et ses bottes n’étaient pas en meilleur état. Heureusement, le Cardinal n’avait jamais trouvé à redire sur ses frusques. En réalité, le Chevalier n’avait pas souvenir l’avoir déjà entendu émettre le moindre signe de désapprobation à son encontre. Si Dieu existait réellement, il avait définitivement touché le jeune homme de sa grâce.

Aussi Guilhem éprouva-t-il une foule de sentiments mélangés lorsqu’il vit l’homme d’Eglise absorbé dans ses pensées. Arnaud n’était pas une âme remuante, aussi la plupart de ses activités consistaient bel et bien à être perdu dans ses rêveries, le regard tourné vers le divin. Mais jamais ainsi. Aussitôt l’homme d’armes se reprocha son escapade de la journée et son humeur s’assombrit derechef. Il louvoya jusqu’à la cheminée, ses traits exprimant confusion et un rien de sollicitude. Il bougonna lorsque le jeune homme le complimenta sur sa nature furtive. Il était bien le seul à lui prêter des traits aussi envieux car on avait toujours dit de lui qu’il tenait de l’ours. Voir du loup.

« Je vous en prie Monseigneur, je ne souhaitais pas vous déranger. » Du bout du tisonnier, Guilhem fourragea les bûches qui flambaient mal. Une longue flamme jaillit, léchant le bois, se tordit comme un serpent et se jeta vers les hauteurs de la cheminée. Le crépitement du feu reprit en intensité, et le chevalier fit tanguer sa lourde masse vers la chaise. Bois et cuir craquèrent sous ses mouvements. Il jeta une œillade rapide au religieux, faisant crisser le crin de sa barbe du bout de ses doigts. Il ne savait comment aborder les choses délicates.

« Vous m’avez l’air…. Bien mélancolique. Un trait que je ne vous connaissais pas. Est-ce que les nouvelles sont bonnes ? » S’hasard-t-il à quémander en pointant du doigt la lettre qui gisait dans la main inanimée du petit brun. « Ce n’est certes pas l’un des traits de ma personne les plus évidents, mais vous pourriez vous laisser aller à vous épancher auprès de moi pour une fois. » Il avait souffert les confessions brutes de l’ancien templier sans jamais lui opposer de jugement. Guilhem s’était à la fois sentit plus léger et enchaîné au Cardinal par quelque chose de sacré. Il n’y avait pas d’autre âme qui lui apporte autant de repos que la présence de la sienne. Enfin, jusqu’à une certaine mesure. Il ne s’était pas rendu à quel point l’affliction était réelle que depuis leurs visite à la cour d’Angleterre.

Se gardant bien de fixer Arnaud avec insistance, il sortit d’une de ses poches sa blague à tabac et une pipe modestement formée. Caressant le bois lisse un moment entre ses doigts, il entreprit de la préparer avec des gestes lents.





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Le loup

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MessageSujet: Re: a mere dream | Guilhem a mere dream | Guilhem EmptyLun 13 Juin - 19:57


a mere dream | Guilhem Tumblr_nb9zyuHP2I1tfw4aco1_500 a mere dream | Guilhem Tumblr_o10g6hR3Zj1trd76fo7_500
I would wait forever, exalted in the scene
We staked out on a mission to find our inner peace
Make it everlasting so nothing's incomplete
It's easy being with you, sacred simplicity
As long as we're together, there's no place I'd rather be.




C’avait été avec une facilité déconcertante que le chevalier avait investi son monde, à la manière d’une pièce de vitrail s’insérant parfaitement dans une composition déjà presque parachevée. D’un naturel chaleureux, il n’était bien évidemment pas surprenant qu’Arnaud lui ait ouvert la porte de son quotidien bien volontiers, puisqu’à l’évidence, tous deux allaient se trouver amenés à se côtoyer longuement, sur la volonté d’un Pape qui ne se savait pas encore condamné. Néanmoins, bien des serviteurs, qui au château d’Avignon avaient été les témoins de l’arrivée de de Villaret auprès de leur maître, avaient parié en secret, dans l’ombre de leurs commérages, qu’un tel tandem serait voué à l’échec. Comment ne pas se figurer le contraire, compte-tenu des différences béantes séparant les deux hommes ! Tels le jour et la nuit, tous deux n’avaient aucune chance de sympathiser, ou de seulement se supporter ; une séparation plus ou moins à l’amiable leur avait été prophétisée, lorsque le cardinal de guerre lasse abandonnerait toute tentative de fraternisation, ou quand le nouveau venu, aussi causant qu’une porte de prison, ne supporterait plus son allègre employeur.

Défiant toutes les mauvaises langues, ils avaient pourtant tenu bon, comme si Clément V, dans son infinie sagesse, avait prêté attention à un murmure du Très Haut l’encourageant à rassembler deux opposés que ne paraissaient à même de concilier. En vérité, le Girondin appréciait tout à chacun, sans distinction, et l’on aurait été bien en peine de citer le nom d’un seul sujet du Royaume assez malchanceux ou malveillant pour ne plus entrer dans les bonnes grâces de l’aristocrate. Son instinct, d’autre part, l’avait rarement trompé, et tous les signes avaient suggéré que la montagne inébranlable à laquelle son oncle l’avait confié cachait quelques blessures encore à vif. Il avait été loin alors d’imaginer à quel point le malheureux tanguait dangereusement au bord d’un gouffre insondable, ce qui n’aurait fait qu’accentuer plus encore la résolution de panser ses plaies et lui offrir, comme à toute créature dans le besoin ayant croisé son chemin, un soutien sur lequel se reposer. Oh, sans nul doute, Guilhem avait dû le trouver bien entêté, et bien insistant, à sa manière ; la périlleuse entreprise avait cependant porté ses fruits, et l’un comme l’autre ne regrettait, vraisemblablement, aucunement la tournure prise par les évènements.

Le peu de cas que fit son garde du corps du compliment lui ayant été décerné ne refroidit pas son hôte, au contraire. Beaucoup de chemin avait été parcouru depuis leur première rencontre, et le cardinal était venu à bout de bien des verrous bardant le cœur du Templier –plus même qu’il ne l’imaginait-, recevoir obligeamment de modestes hommages à ses talents et plus encore s’en sentir digne constituait une autre étape, un énième cap à franchir au cours du long ouvrage que s’était donné de Pellegrue. Tout ne se trouvait affaire que de patience… Ainsi, il avait bon espoir de réparer tout ce que des années de cauchemar avaient brisé chez son cher ami, à force de temps, de patience, mais plus encore de petites attentions lui montrant qu’il était aussi important qu’estimé, au moins aux yeux de quelqu’un.

-Vous ne me dérangez jamais, vous le savez bien,
lui rappela son vis-à-vis avec douceur, si bien que par ces simples mots, il devenait si aisé de comprendre à quel point le chevalier avait pu s’attacher à celui dont il devait assurer la protection.

Lorsque Guilhem se pencha pour raviver la fougue des braises, le regard du religieux, qui l’avait suivi des yeux, s’égara sur ses traits burinés par le soleil d’Orient et par tant de souffrances passées. Les lueurs du brasier sublimaient les monts saillants de ses pommettes et chaque ridule, en un jeu de contrastes où le halo mordoré du feu révélait les teintes auburn entremêlées dans le foisonnement à peine maîtrisé de sa barbe. Les couleurs que portaient fièrement ses joues laissaient à supposer que les heures passées au grand air lui avaient été bénéfiques, à la satisfaction du magnanime bien-né, qui bien volontiers laissait son gardien s’échapper de la citadelle lorsqu’il ne tolérait plus les murs de celle-ci, force brute et presque sauvage que l’éclat du brasier parvenait à révéler dans toute son charme âpre. Si le serviteur de Dieu comprenait mieux le Templier que quiconque, ce dernier lisait également en lui avec une facilité déconcertante, selon toute vraisemblance. Rarement Arnaud s’était senti autant en sécurité qu’en sa présence.

L’offre du Gévaudanais fut reçue avec un sourire cette fois plus franchement inscrit dans les traits délicats du cardinal :

-Excellentes, même. Ma sœur Estelle a donné le jour à son quatrième enfant la semaine passée, son second garçon. Tous deux se portent à merveille, grâce en soit rendue au Ciel.

Sa félicité, paisible comme l’étaient tous les sentiments dont de Pellegrue avait fait montre depuis toujours, transparaissait dans le ton de sa voix, de même que tout simplement dans sa façon d’être. Guilhem ne se fourvoyait nullement, en arguant que l’apitoiement n’était point une habitude chez lui : n’importe qui ayant jamais eu la chance de converser avec l’archidiacre vous aurait soutenu exactement la même chose. Il était un rayon de soleil tombant sur cette terre fatiguée, et tous statuaient qu’il en serait constamment ainsi, sans doute de peur de perdre celui qui, quand ils cédaient aux doutes, leur redonnait un peu d’espérance. Malheureusement, aucun soleil ne se trouvait à l’abri d’une éclipse, ou d’un simple épisode de mauvais temps.

Ses iris azurés revinrent à la page manuscrite :

-De notre mère émane cette lettre… Mais elle mentionne peu de détails. Je ne connais point le nom du petit.

Son constat s’avérait plus rêveur qu’abattu, à la vérité. Lui-même ne donnait aucun signe réel de compréhension quant à l’origine exacte de sa lassitude diffuse, quoi qu’il n’en fît nullement grand cas, et qu’il désirât signifier à son protecteur qu’il n’avait pas à s’inquiéter.

-Je me demandais s’il a les yeux bleus, comme certains d’entre nous. S’il est un nourrisson posé, ou s’il pleure beaucoup. Si, une fois qu’on le porte dans ses bras, il pèse contre vous, ou bien s’il est aussi léger qu’une plume.

Arnaud l’aimait déjà, cela sautait aux yeux, mais malgré cette affection toute paternelle, il n’aurait pas voix au chapitre, pas comme il l’aurait souhaité, ou même mérité. Cette soirée n’était peut-être qu’une brève déchirure dans le voile de ses innombrables illusions, au matin réparée, qui pour l’heure lui laissait entrevoir à quel point il avait été seul jusque-là, et que sa famille, mis à part son cadet, n’avait d’une maisonnée aimante  que le nom. Avant-dernier descendant du couple, trop jeune, trop effacé, trop attaché à leur si étrange cadet, et bientôt trop obnubilé par sa foi, celui qui deviendrait légat du Pape tenait presque lieu de pièce rapiécée grossièrement aux groupe formé par ses autres frères et sœurs, et il fallait bien tout le bon cœur de ce dernier pour s’imaginer ne pas être mis au ban de sa propre lignée, en tant qu’âme trop différente pour se voir acceptée. Avec bonhomie, et depuis son enfance, le mal aimé passait outre, trouvant maintes excuses à ses proches parents, là où un dédain manifeste régnait en maître.
D’un léger mouvement de la tête, plus élégant et plus poli qu’un haussement d’épaules, de Pellegrue minimisa tout ceci, le reléguant au rang de broutille insignifiante, sans conséquence, à ignorer.

-Nous n’avons jamais été vraiment proches, Estelle et moi. Nous appartenons à une fratrie de seize, voyez-vous, et je ne puis que reconnaître le fait que tout le monde ne puisse s’entendre à merveille, sans compter que six ans d’écart me séparent de mon premier aîné. Mon entrée en religion n’a de plus pas dû aider à combler la distance entre nous. Enfin… Peut-être rencontrerai-je mon neveu lorsqu’il sera âgé d’un ou deux ans.

La fin de sa phrase sonnait comme une note d’espoir, alors qu’une partie de la vérité se voyait occultée : Estelle ne constituait pas un cas isolé, loin de là, et le vœu de voir le garçonnet demeurerait sans suite, repoussé tel un rêve inatteignable. Cependant, Arnaud ne désirait nullement se lamenter auprès de de Villaret, par respect envers lui, qui ne méritait pas, après toutes les épreuves qu’il avait déjà traversées, d’avoir à supporter les jérémiades de qui que ce fût. Des malheurs bien plus aigus s’abattaient sur de braves croyants partout dans le Royaume, et même au-delà ; l’archidiacre estimait donc que ses propres afflictions, risibles en comparaison, n’avaient qu’à être surmontées, et non exhibées.

Un bref instant, et cela se lut sur son visage, il fut tenté de poser une question au fier chasseur du jour, sur le nombre de ses propres neveux et nièces, mais se ravisa : l’ecclésiastique n’ignorait pas qu’il s’agissait là d’un sujet sensible, capable de le tourmenter en lui rappelant ce qu’il avait perdu, de son fief jusqu’à sa défunte fiancée. Il préféra donc continuer de parler encore un peu, quoi qu’il n’appréciât pas l’exercice plus que cela, dans l’éternelle optique de mettre en confiance l’ancien Croisé, et de le faire se sentir suffisamment apaisé pour se laisser aller à d’autres confidences.

-Cela m’a fait penser à la place que Notre Seigneur donne à chacun d’entre nous. Ma sœur, moi-même, nous tous, nous nous trouvons là où Il l’a voulu, et nous avons à nous en réjouir, car nul mieux que Lui sait où nous servirons le mieux Son œuvre.

Les références au Créateur émaillaient chacun de ses discours, même les plus intimes, en une démonstration qui n’était que trop évidente de la place prépondérante occupée par le Tout-Puissant dans son humble existence de mortel. Aussi suprême fût-Il, l’adoré des chrétiens ne put cependant empêcher un sourire de sincère gratitude de se glisser sur les lèvres de son plus zélé fidèle, à l’adresse d’un autre que Lui.

-Je vous sais gré de votre prévenance, mon ami. D’autant que votre journée semble avoir été des plus animée, et que vous aspirez sans doute à un repos bien mérité.

Du menton, il désigna les mains de Guilhem, encore peu remises de leurs aventures, l’invitant à raconter les péripéties ayant émaillées son escapade en pleine nature. Inconsciemment, l’archidiacre cherchait ainsi un moyen de détourner la conversation de son cas personnel, en un aimable déni qui malgré tout se révélait bel et bien concret, voilé derrière l’intérêt, tout aussi tangible, qu’Arnaud portait aux récits du chevalier, lui qui sortait peu en pleine forêt, et n’avait jamais participé à une chasse.

Secrètement, le religieux aurait aimé avoir l’occasion de le présenter aux siens, certains que parmi ses frères, nombre d’entre eux auraient apprécié un homme de la trempe de Guilhem.










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Dernière édition par Arnaud de Pellegrue le Mer 17 Aoû - 10:38, édité 1 fois
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Le loup
Guilhem de Villaret

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MessageSujet: Re: a mere dream | Guilhem a mere dream | Guilhem EmptyDim 19 Juin - 17:33



Les sourcils feu du chevalier s’arquèrent sous le coup d’une surprise jamais maîtrisée. L’homme d’Eglise était un bien singulier personnage et il n’était pas arrivé une seul fois à Guilhem de rencontrer une âme telle que la sienne, qui recueillait en elle autant d’amour pour l’être humain, quelle que soit sa nature. Il aurait pu tenir en mépris un homme tel que lui qui avait tant tué que le tréfonds de son âme était devenu noir comme la suie. Pourtant jamais il n’avait eu à souffrir d’un tel jugement. Pire encore, malgré les réticences d’Arnaud à se voir sans cesse flanqué d’un second quidam son accueil n’avait pas manqué de chaleur et de bienveillance. Doucement, Guilhem avait senti la prise glacée sur son cœur fondre et l’on pouvait voir maintenant son visage se parer d’une joie partagée quand il parvenait à avoir un moment seul avec son maître. Oui il savait qu’il était le bienvenue en tout temps et lui qui pensait ne plus jamais se trouver un foyer, avait cette drôle de sensation qu’il serait toujours chez lui dans la demeure des Pellegrue.

« Vous aviez l’air pourtant particulièrement absorbé. » Se contenta-t-il de faire constater. Son regard clair, fouillait le visage du jeune homme, à la recherche de quelques indices cachés. Le travail n’était pas celui d’un titan, Arnaud se livrait sans trop de complaisances et il était aisé de décrypter ses états d’âmes. Il n’était pas plus facile de le posséder cependant. Guilhem n’aurait su le formuler avec des mots, cette chose qui le rongeait chaque fois qu’il se perdait dans ses traits, mais c’eut été comme s’il manquait des bouts à Arnaud. Des choses que l’on devinait chez les autres mais point chez lui. Peut-être était-ce à cause de son austère fonction, sûrement d’ailleurs. C’était en tout cas de ces choses que le chevalier aurait aimé découvrir chez son vis-à-vis.

« C’est en effet une bien jolie bénédiction. » Fit l’homme d’armes, qu’un tel bonheur ne rendait pas insensible. Il s’était maintes fois imaginé le patriarche d’une grande tribu et à certains moments des plus noirs qu’il avait vécus à Chypre, c’était ce qui avait maintenu sa tête hors de l’eau. Ce qui l’avait forcé à se battre encore. Le sel de la terre. Et pourtant, la flamme dans son regard s’assombrit aussitôt car il ne comprit que trop bien ce brusque accès de mélancolie qui pesait sur les épaules de son maître. Arnaud aurait fait un bon père, lui aussi. Et le manque de finesse d’esprit de Guilhem ne lui permettait pas de comprendre comment sans y avoir été invité, le jeune homme qu’il était avait embrassé la vie religieuse. Depuis toujours, il lui avait semblé que seul des hommes à l’esprit aussi sec que la peau, s’y condamnaient.

Parce que le jeune homme donnait toujours cette image épanouie de lui, il était aisé de pouvoir oublier que la solitude pouvait également l’étrangler. Cela obligeait Guilhem à revoir un peu ce regard qu’il posait sur les religieux. Sur ce que des années à voir la vie se dérouler sous leurs yeux sans y participer pouvait aspirer de leur vigueur. C’était ce manque d’amour et d’affection qui en faisait des choses aigries et belliqueuses. Car il ne fallait pas compter sur l’idole de bois pour leur en donner. Guilhem lui-même s’était insurgé contre elle à en perdre l’usage de ses cordes vocales. Et rien ne lui avait répondu.

Les interrogations lui firent repenser à ses propres rêves, quand il n’était encore qu’un jeunot. A cette force qu’il avait ressenti en se tenant entre les cuisses de sa bien-aimée et combien l’idée d’avoir pu l’engrosser cette fois-là lui avait donné des ailes pour se lancer dans la bataille. Il s’était figuré un solide bambin, avec le regard doux de sa mère et ses cheveux blonds. Le roux, toujours n’avait été que malédiction. Puis il en vint par les détours malades de son esprit à s’imaginer avec une miniature d’Arnaud solidement campé sur ses épaules. Il était habitué aux injures de son esprit mais celle-ci le surprit comme si elle lui était étrangère. Alors qu’il savait quel mal ne cessait d’enfler en lui.

Il ravala sa salive avec difficulté et se força à sourire en réponse au Cardinal. Il n’était pas assez bienveillant pour le bercer de paroles rassurantes. Il comprit au regard appuyé d’Arnaud qu’ils partageaient une peine commune pour laquelle il n’existait pas de remèdes. Les liens familiaux avaient été tronqués par des choix qu’ils croyaient honorables. Tous les deux avaient cru servir Dieu, une cause plus grande que leur pauvre humanité. Mais elle les avait dépouillés, laissant leur âme à nue. Il existait cependant une différence entre eux. Arnaud lui continuait de ployer le genou pour des fariboles. Il continuait de croire. Sa foi demeurée intacte, l’attachait encore à un semblant de vie.

« Son œuvre ? »
Il eut un rictus mauvais. Une telle crédulité ne pouvait l’empêcher de grimacer. « Je ne comprends pas les dessins du Seigneur Arnaud. Si vous aviez vu le mal comme moi… Vous vous détourneriez de Lui également. Il m’est impossible de croire que toute cette souffrance ait été voulue. Pour servir quel but ? » Murmura enfin le chevalier en détournant son regard à nouveau vers les flammes. Sombre un moment, alors que dans le dessin du feu se jouait à nouveau les batailles qui avaient fait couler son sang. Il fut tiré de sa torpeur par la voix d’Arnaud à nouveau et il haussa les épaules sans grâce. Jamais le Cardinal ne permettait très longtemps qu’on ne s’attarde sur lui. Il parlait de grandes idées, il avait des histoires plein la bouche mais jamais rien qui ne le concerna. Comme s’il n’était qu’un instrument tronqué de tous sentiments.

« C’était une bien belle chasse Mon Seigneur. Elle m'a redonné de la force. Vous devriez participer au moins une fois cela vous sortirait de vos bouquins et donnerait un peu de couleur à vos joues. Je ne comprends pas pourquoi votre fonction vous isole-t-elle autant du reste du monde. » Il finit de bourrer sa pipe et frotta une allumette contre sa botte pour enflammer le tabac. Il tira un temps, jusqu’à ce que l’amorce soit faite et que la fumée emplisse ses poumons. « Je m’interroge sur beaucoup de choses depuis l’Angleterre vous voyez… J’ai de vagues réminiscences de mes lectures du Saint Livre. Et je ne comprends pas l’utilité de votre isolement. »


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Arnaud de Pellegrue


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MessageSujet: Re: a mere dream | Guilhem a mere dream | Guilhem EmptyMer 22 Juin - 17:42


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Rien que je ne puisse te cacher
You are so brave and quiet I forget you are suffering.




Arnaud, mieux que quiconque, percevait les changements qui avaient eu lieu chez de Villaret. Témoin privilégié de cette discrète mais néanmoins profonde métamorphose, l’on ne pouvait que lui reconnaître un rôle de grand orchestrateur dans l’entreprise en question qui, bien loin de le parer des attraits d’un marionnettiste manipulateur, lui donnait plutôt les airs d’un personnage de conte de fées, d’un de ces bonnes fées, marraines d’héros et d’héroïnes, ne s’épargnant aucun effort afin de voir la félicité enfin étreindre le cœur de leurs protégés. Sa foi le rendait inconscient par bien des aspects, lui qui allait aux-devants de badauds anonymes pour les saluer sans même songer que ces derniers puissent tenter de lui nuire pour lui voler sa bourse, ou dont la mission sacrée l’amenait à côtoyer tant de malades ; pourtant, c’avait été avec une acuité sans faille que le trentenaire avait perçut, derrière l’armure de métal et d’insensibilité, l’homme de valeur qu’était Guilhem. Il ne s’agissait nullement d’une illusion, ou d’un rêve que le religieux aurait tant voulu voir se réaliser qu’il refuserait d’accepter l’évidence d’un fourvoiement : chaque jour passant, les progrès effectués par le Croisé ne manquaient pas de contenter le cardinal, secrètement gonflé de fierté non pas à l’idée d’avoir vu juste, mais de savoir le chevalier de nouveau sur la bonne voie, de plus en plus loin des abysses avec lesquelles il n’avait que trop flirté. De superbes pierres précieuses se trouvaient bien souvent prisonnières d’une gangue de boue, et c’était, tout compte fait, une excellente définition d’une partie du travail abattu par de Pellegrue, celui d’un chercheur d’or cheminant dans la fange avec l’irréductible espoir que ses pas le mèneraient jusqu’à des trésors enfouis. L’ancien Guilhem, comme se le figurait l’homme d’Eglise, n’était pas encore complètement reparu, mais il le devinait dans chacun des rares sourires du bretteur, dans les attentions qu’il ne réservait qu’à son bienfaiteur, et dans cette impression difficile à décrire que ressentait Arnaud, née du fait de le voir peu à peu émerger de sa carapace, pour reprendre confiance et goût en la vie. L’homme que devenait –ou plutôt redevenait- le Gévaudanais n’était pas pour déplaire à l’artisan d’un tel miracle, au contraire : leurs différences se traduisaient par une complémentarité et non par une opposition inconciliable, et c’était avec une profonde gratitude, à la fois envers Dieu qui avait fait que leurs routes s’étaient croisées et envers son protecteur, qui lui avait donné sa confiance, qu’Arnaud le comptait parmi ses amis, pour ne pas dire comme son seul et véritable ami.

L’amitié nourrie par le dévot se trouvait réciproque, à la plus grande joie de ce dernier, ce qui l’avait amené à entrevoir avec une aisance croissante les expressions fugaces parvenant à percer au travers du stoïcisme du Templier. Cela était un grand bien, d’ailleurs : elles trahissaient des émotions, le meilleur signe possible d’une guérison, dans le cas d’un cœur brisé, désillusionné, désespéré. La curiosité, la compassion, ou simplement de l’intérêt pour une tâche qui ne l’occuperait qu’une poignée d’heures, tout se trouvait bon pour ne pas céder à l’appel de la maussaderie, ou pire, d’une froideur sans égale. Ainsi, Arnaud fut heureux de ne pas le voir s’armer d’indifférence, pour mieux se préserver de toute pensée douloureuse, ou de toute autre élément ne rentrant pas sensu stricto dans son rôle de garde du corps. La prévenance dont de Villaret faisait montre à son égard avait autant de valeur que ses qualités militaires, à n’en point douter. Peu importât que dans l’imaginaire collectif, un guerrier dût se montrer aussi impitoyable et solide qu’un roc, ce que nombre de ses contemporains –Guilhem y compris- auraient jugé comme des failles se révélaient pour le croyant la promesse de temps plus apaisés, propices non seulement à la reconstruction, mais également à l’épanouissement. Que des sentiments bien plus forts concourussent à ce même objectif ne venait nullement à l’idée de l’innocent, ni que le trouble fut en partie la source des réactions de son vis-à-vis.
Aussi sûrement qu’il savait la question de la famille que n’avait jamais pu construire le chevalier pour le moins sensible, l’archidiacre se doutait, à chaque fois qu’il évoquait d’une façon ou d’une autre le Créateur, qu’il se trouverait confronté à une réaction butée de la part de son ange gardien. Il restait bien du chemin à parcourir ; cependant, le Girondin ne se départait nullement ni de sa patience légendaire, ni de son aspiration, gardée tue, d’un jour raviver la flamme de la foi catholique dans le cœur de l’incroyant. Si seulement, oh si seulement, à l’inverse, le pauvre martyr voyait le monde comme lui, éternel optimiste, le voyait… Le dépaysement aurait été tout aussi frappant. Arnaud aurait tant voulu lui faire pareil cadeau, afin qu’il réalise tout ce qu’il y avait de beau et de bon en ce monde… Il y aspirait plus que pour quiconque. La question des intentions de Dieu lui avait été posée un nombre incalculable de fois, sans que le prêtre eût été en mesure d’y répondre, ce qu’il expliquait avec douceur à chaque reprise : nul mortel n’aurait pu affirmer connaître les motifs des évènements survenant par la volonté du Seigneur car ils étaient tous, justement, d’humbles mortels, incapables de saisir toute la grandeur des volontés de Dieu, ainsi que les choix titanesques auxquels Il se trouvait confrontés. Beaucoup, à l’instar de de Villaret à cet instant, accusaient le Très Haut, et remettaient en cause Sa miséricorde, en oubliant qu’Il n’était pas le seul à influencer leurs existences. Le Malin, bien plus à son aise au sein de la dimension terrestre qu’ils habitaient, emplissait les âmes de péché et de travers que seuls leurs hôtes étaient en mesure de combattre, en acceptant d’être sauvés, puis en se repentant. Bien des malheurs se trouvaient causés uniquement par Satan lui-même, et si ses proies se détournaient du Ciel, ne serait-ce que le temps d’une récrimination, elles perdaient le secours qu’elles auraient pu espérer de la part de leur Sauveur. Arnaud éprouvait une immense compassion pour Celui à qui il avait dédié sa vie, quand bien même cela se rapprochât, en un sens, d’un péché d’orgueil, car il n’était que peu de choses, pour avoir l’audace d’éprouver semblable commisération envers un tel être : avoir façonné tout un monde pour Ses plus belles créations, pour ensuite subir déception sur déception, en les voyant se détourner de Lui, aveuglées, belliqueuses, rancunières, si pétries d’ingratitude envers Celui sans qui elles ne seraient rien… C’était si triste.

Le cardinal garda le silence sur sa thèse, de même qu’il laissa l’interrogation formulée par Guilhem se muer en question rhétorique, plutôt que d’initier un débat théologique qui, certes paisible et tout à fait digne d’intérêt, ne lui faisait pas envie, pas à ce moment présent. Ils avaient déjà eu l’occasion, depuis l’entrée du Templier à son service, de défendre leurs points de vue réciproques, sans parvenir à un consensus, et en cette soirée, Arnaud ne désirait pas que leurs opinions opposées les séparent, en une sorte de paresse n’aspirant qu’à la tranquillité d’un bavardage amical. Un jour, son précieux interlocuteur trouverait seul la solution du mystère, quand il serait prêt à accueillir de nouveau Jésus dans sa vie.

-Je n’ai jamais été immensément féru des parties de chasse, pour être honnête ; je n’y ai que peu participé adolescent, sans y révéler une quelconque prédisposition, ou encore un attrait particulier. Je vous accorde cependant bien volontiers qu’une retraite à la campagne, afin de changer d’air, n’est point sans charme. Il s’agit là d’un projet sur lequel revenir, assurément.

Ses affaires, déjà gourmandes en temps, n’iraient pas en s’allégeant, mais rêver ne coûtait rien, n’est-ce pas ? Le religieux n’avait sans doute pas la même vision que son compagnon de discussion, quant à ce à quoi ressemblait une villégiature digne de ce nom : sans surprise, l’homme en armes aurait été fort peu séduit par le projet de passer plusieurs jours au sein d’une abbaye ou d’un monastère, entre les murs desquels son maître aurait été plus qu’heureux de partager la vie paisible de ses occupants, afin de ne pas demeurer oisif une fois éloigné de la Cour, tout en emportant avec lui ses fameux ouvrages. L’idée de profiter d’un cadre bucolique en compagnie de Guilhem, et de lui seul, aurait malgré tout été capable de le réjouir, inexplicablement, quel que fût l’endroit où ils se seraient rendus.

Alors qu’une odeur âcre emplissait lentement l’espace les séparant, la suite du discours du Gévaudanais l’intrigua quelque peu, ce qui se traduisit par un léger froncement de sourcils, ainsi qu’une note amusée et interrogative, à la fois dans son regard et dans la façon dont les commissures de ses lèvres se relevaient à peine :

-Votre raisonnement me laisse quelque peu perplexe. Je ne remets point en cause votre jugement, que je sais sûr, mais je ne parviens à voir ce qui vous permet d’affirmer que je suis seul. Vous savez mieux que personne, pour suivre mes pas à chaque heure de chaque jour, à quel point je n’ai que peu de moments à moi, entres toutes les audiences qu’il m’incombe de donner, ainsi que les entretiens avec mes connaissances, sans parler de mes rencontres avec les autres cardinaux, et mes visites aux hôpitaux et orphelinats de la ville. C’est bien simple, je suis constamment entouré… !

Le ton, presque humoristique, de sa dernière affirmation se mua en une confidence bien plus intime :

-… Et puis je vous ai, vous.

Il n’imaginait pas, pauvre fou, à quel point c’était vrai, et à quel point il appréciait cet état de fait, ce qui n’aurait pas été si ardu que cela à lire dans son regard qui, posé sur le chevalier, ne témoignait que d’une confiance pure, reconnaissante.

Si Arnaud lisait presque en de Villaret comme dans un livre ouvert, l’inverse s’avérait également juste : quoi que le prêtre n’en fut pas conscient au sens propre du terme, par déni, ils savaient pertinemment tous deux que la solitude prenait bien des visages, et vous happait y compris lorsqu’une masse bruyante de vie vous entourait. Il ne s’agissait pas du nombre de personnes se pressant autour de vous, mais de la nature des relations vous liant, qui faisait toute la différence. Le cardinal, arrimé à l’utopie à laquelle il avait entremêlé les fils de son quotidien, ne se pensait pas déprivé de chaleur humaine, au contraire.

L’évocation de leur récente traversée de la Manche parvint à effacer son sourire, au profit d’une expression un brin moins assurée, plus en proie à une réflexion complexe, aussi obscure et épaisse qu’une forêt touffue, de laquelle il était loin d’être sortie. L’inflexion de sa voix se voulait pourtant rassurante :

-Je conçois tout à fait que notre séjour en Angleterre ait pu se montrer quelque peu déroutant, par certains aspects. Leurs coutumes et les manières nous sont étrangères, il est normal de se sentir perdu en terrain inconnu. Ne vous mettez par martel en tête à ce sujet, cela n’en vaut pas la peine.

Comme tant d’autres choses, de Pellegrue ignorait à quel point leur voyage a pu être non seulement déroutant, selon ses mots, mais également perturbant pour son fidèle bras armé, dont les idées avaient été envenimées par les mœurs dissolues d’Edward II. Si l’aristocrate se sentait mal à l’aise en repensant à la vie à la Cour de Londres, qu’aurait-il donc pensé, se disait le cardinal, s’il avait eu à faire face comme c’avait été son cas à toutes les inconvenances dont lui avait fait part le souverain… Le malaise du Croisé, si droit, n’aurait été qu’amplifié, et l’archidiacre songeait sincèrement que c’avait été une bonne chose qu’il n’ait point eu à affronter pareils propos.

Guilhem, cependant, était déjà perdu.










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MessageSujet: Re: a mere dream | Guilhem a mere dream | Guilhem EmptyLun 11 Juil - 1:01




Guilhem savait que certaines de leurs conversations étaient vouées à se terminer toujours de la même façon. Les attentions d’Arnaud sur sa personne ne portaient leur fruit que pour l’état de son cœur. Son âme, elle, restait inchangée. Il ne voyait toujours pas, la confirmation de l’existence de cette toute puissante divinité. Il n’avait jamais été témoin du moindre miracle. Il avait lui-même mené sa vie du mieux qu’il pouvait, en suivant les règles établies et n’en avait récolté aucune récompense. Il n’attribuait plus les maux au Malin, mais bel et bien aux hommes. Il savait que le goût du sang était ancré sous la peau de chacun. Comme une mauvaise maladie. Aussi n’était-il pas fâché que le Cardinal ne vienne pas défendre son opinion. La honte le tenait parfois de ne pas savoir apprécier son enseignement. Arnaud avait pris une place bien spécifique dans sa vie et il se voulait, si non à sa hauteur, au moins méritant de sa compagnie.

Cependant, il eut les lèvres qui le démangeait presque, quand l’homme d’Eglise lui eut dépeint ses journées remplies. Certes, il n’avait pas une minute à lui. Mais ce n’était pas à Arnaud que les autres s’adressaient, mais au Cardinal. L’important, c’était cette robe pourpre qu’il portait. D’ailleurs, le confessionnal ne laissait pas entrevoir le visage de celui qui recevait la confession. Il aurait tout aussi bien pu n’y avoir personne dans la guérite. Invariablement, Guilhem retrouvait son maître affairé à une tâche, seul, retranché dans ses appartements quand il n’était que l’homme, et non pas l’habit. C’est sans méchanceté, qu’il le pensait et qu’il voulait le lui dire, mais l’aveu de son ami lui coupa littéralement le sifflet et ses joues s’empourprèrent comme s’il s’était enfilé un litron de bon vin. Le frisson, né sous sa peau, allait au delà du partage d’une belle amitié. Et malheur pour le Cardinal, cela fit sauter un verrou qui tenait le Gévaudanais dans le silence depuis trop longtemps.

« Déroutant… » Il le murmura ce mot, le faisant rouler sur sa langue comme s’il en évaluait la véracité. Pourtant il était faible, cet adjectif, face aux questionnements que cela avait engendré chez le chevalier.

« Par tous les diables Arnaud ce ne sont pas les manières anglaises. Il y a chez nous, de très bons français et chrétiens qui n’hésitent pas à se taper dans le fion. C’est vrai aujourd’hui, mais ça l’était également à l’époque où je portais La Croix. C’est… »

Il se rembrunit. Il avait beaucoup médité sur la question, tiraillé par ses propres désirs. Il pouvait se l’avouer sans peine, sa chair était faible et il avait été témoin de certaines scènes qui avaient éveillées son intérêt, pour ne pas dire son envie. Il avait vu, devant ses yeux, s’incarner sa silhouette, intimement imbriquée avec celle du Cardinal et l’image était devenue si vivante, qu’il ne parvenait plus à l’oublier. S’en sentait-il coupable ? Pas même un peu puisqu’il n’avait pas le respect pour l’Eglise qu’Arnaud avait. De sa position de simple homme de main, il avait pu voir les hommes de pouvoir agir. Tous ces prétendus sains étaient motivés par des ambitions très terrestres. Le Cardinal de Pellegrue en était une formidable exception. Il était l’un des seuls, qui pouvait donner un exemple pour des pêcheurs comme lui.

« Si Dieu n’est qu’amour comme vous le prétendez… Comment se fait-il que celui-là soit condamnable ? S’il l’est vraiment… Pour le moment je n’ai vu rien que des gens de chair et d’os pour venir la montrer du doigt. Le Seigneur, lui, ne maudit pas ces gens-là plus que d’autres. Le roi Edward détient bien son pouvoir de lui non ? Et ses escapades sont de notoriété publique… Les petites gens du palais n’ignorent rien et ce qu’eux savent, le monde entier en est témoin. Et l’Angleterre reste cette grande force qu’elle a toujours été. Des cousins peuvent s’épouser et cela est loué. Pourtant c’est le même sang dans leurs veines. » Guilhem s’échauffait petit à petit, il laissait s’exprimer une frustration qu’il tenait en laisse depuis des semaines. Des sentiments qui avaient pris de l’ampleur en lui, d’une telle mesure qu’il n’était plus capable de les contenir. Il se sentait faiblir, dans sa chair et dans son esprit, chaque jour un peu plus. Et Arnaud devenait un tourment. Un délicieux tourment, mais tout de même, certaines nuits, cela le tenait éveillé. Cela ? Ce désir qu’il ne pouvait même pas épuiser au creux des cuisses de Manon, parce que ça faisait taire alors toute flamme en lui.

« Croyez-vous qu’il ait tort ? Je n’ai point vu dans ses yeux… » Il serra brusquement le poing et avec, frappa l’accoudoir de son fauteuil. Il ne voyait comment le dire autrement, c’était de l’amour qu’il avait vu dans ses yeux là. Il en connaissait bien les affres, pour les avoir connus dans sa jeunesse. Et pour retrouver les mêmes sentiments, ravivés aujourd’hui. Peut-être même incarnés avec plus de vigueur encore que par le passé.

« C’était de l’amour… Je vous le jure. Je l’ai vu avec ce jeune homme et c’était bien semblable à de l’amour. »



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MessageSujet: Re: a mere dream | Guilhem a mere dream | Guilhem EmptyDim 17 Juil - 20:47


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La lutte contre le péché, combat mené avec le secret désir d'être vaincu.




Les années avaient filé, plus vives et insaisissables que le vent, laissant croire au Girondin que les sentiers de l’âme humaine ne possédaient plus tant de secrets pour lui que cela. Tant de confessions lui avaient été murmurées, tant de péchés et de fardeaux lui avaient donné une image partielle des dizaines de vies, plus diverses les unes que les autres, que de Pellegrue n’aurait pas l'occasion de mener, qu’il se considérait comme un connaisseur, un sage capable de lire entre des lignes invisibles pour les profanes. Sans vanité, Arnaud avait conscience d’avoir eu un aperçu de bien des errances dans lesquelles ses pairs s’enfermaient jusqu’à y perdre toute tranquillité d’esprit. Certaines affres échappaient sans nul doute à l’éventail de son savoir-faire, malgré ses années de bons et loyaux et services passées à prêter une oreille attentive aux malheurs d’autrui ; des lacunes que le prêtre considérait comme de minces zones d’ombre, au sein d’une carte du cœur humain où il commençait à cheminer comme dans son propre jardin. Excès de confiance ? Aveuglement ? Véritable science qui malgré tout, par essence, demeurait dramatiquement parcellaire ? Ardue aurait été la prédiction des victoires ou des échecs à venir pour le cardinal, car ce dernier, jusqu’à lors avait toujours su trouver les mots justes, les conseils adéquats, les diagnostics avérés à propos de maux dont il n’avait conscience qu’à travers de ce que l’on voulait bien lui décrire. Fort de cette confiance en ses talents, rêvés ou réels, de savant lisant à cœur ouvert les sentiments de ses ouailles, l’homme d’Eglise interpréta sans mal le teint incarnat ayant envahi le visage de sa très chère  seconde ombre.

Guilhem n’avait plus l’habitude de recevoir pareille marque de respect, que dis-je, d’amitié indéfectible, après la débâcle qu’avait été la fin de l’Ordre de Jacques de Molay, et les années de disette émotionnelle qui avaient suivi. Il apparaissait plus que normal au légat du Pape que ce dernier ne sache plus vraiment comment réagir face à de telles attentions, destinées à sa propre personne qu’il ne devait pas manquer de se figurer indigne de largesses de cet acabit, ou encore insensible à la bonté du croyant. Sans hâte, désireux de prendre tout le temps nécessaire, Arnaud comptait bien le réhabituer à être autre chose qu’une lame aiguisée dans la nuit, qu’un mercenaire corvéable à merci, sans états d’âme ni valeur. Comme toute résurrection, menant des ténèbres à la tiédeur du jour, se révélait féconde en surprises, ce qui était bien naturel… Le rejet en bloc du Templier le frappa donc de plein fouet, au profit d’une incompréhension pour le moins désorientée.

-Prenez garde à vos propos… ! l’admonesta le cardinal, plus avec effroi qu’avec méchanceté, ou encore sévérité.

Un langage si fleuri faisait certes bonne figure au sein des bas-fonds, entre les trimardeurs et les saoulards de tout poil peuplant les tripots où de Villaret s’égarait certains soirs, mais de semblables écarts n’avaient nullement à se voir permis en pareilles circonstances. Ils se trouvaient dans le palais du Roi de France, et le chevalier ne s’adressait pas à n’importe qui ; quand bien même de Pellegrue fût-il relativement permissif avec son garde du corps, plus que de raison selon toute vraisemblance, il incombait que certaines limites ne se voient pas franchies. Arnaud songeait tout autant au respect des convenances, auquel il demeurait attaché, qu’au simple respect que lui devait le Gévaudanais, et plus encore aux risques que prenait son vis-à-vis en proférant de telles paroles. Tout le monde ne se montrait pas aussi conciliant que l’archidiacre de Chartres : les Templiers avaient entre autres été envoyés au bucher sur le motif de leurs mœurs dissolues, un châtiment sans commune mesure avec ce que lui feraient subir les plus sanguinaires des puritains si à leurs oreilles parvenaient un discours aussi peu vergogneux. Le maître d’armes ne pouvait de plus nier son penchant pour la bouteille, qu’Arnaud n’ignorait point, compte-tenu du passage pour le moins mouvementé par sa chambre dont de Villaret l’avait gratifié sous le coup de l’ivresse : qui aurait su dire si, enivré, il n’aurait pas commis l’irréparable en prenant les clients de la taverne pour un auditoire ? Le Girondin craignait pour la sécurité de son ami, autant physique que spirituelle, car quand bien même son garde du corps estimât ne pas avoir d’âme, le prêtre demeurait convaincu du contraire ; la crainte de le perdre, d’une façon ou d’une autre, commençait de glacer lentement le sang dans ses veines, une sensation détestable que le bien-pensant désirait dissoudre, par charité autant que par égoïsme, parce que ne nous mentons pas, Guilhem lui était précieux, bien au-delà de ses qualités martiales.

Une autre peur, plus insidieuse encore, s‘installait en lui, celle de se rendre compte que son alter ego avait pris part aux dérives dont les sables brûlants de Palestine avaient été les témoins, que la morsure de la perversion avait entamé la perfection revêtue par son être, ou du moins que l’homme de Dieu lui prêtait. Arnaud devait le guérir, il devait le sauver des écueils que lui-même n’était pleinement parvenu à éviter. Un sursaut qu’il ne parvint à retenir le secoua lorsque le poing de de Villaret heurta le bois de la chaise : comme le dévot détestait sentir se creuser entre eux ce fossé, comme il désespérait de sentir le Gévaudanais redevenir sauvage, indomptable, inatteignable. Leurs deux mondes se dissociaient alors, à la manière d’une éclipse prenant fin, sonnant la séparation du soleil et de la lune que l’on aurait pu croire enfin réunis. Les sentiers sur lesquels menaçait de s’égarer le chevalier faisait naître une appréhension vive chez Arnaud.

-Ecoutez-moi, Guilhem…

Le cardinal s’efforçait de parler lentement, afin de donner le plus de poids possible à chacun de ses mots.

-Il est essentiel que vous ne preniez pas pour de l’amour une condamnable luxure. Puisque vous prêtez une oreille si attentive aux rumeurs, n’ignorez-vous point que tout ceci a débuté bien avant Hugues le Despenser ?

De Pellegrue ne pouvait révéler ce que le Roi lui avait laissé entendre, quand bien même n’eussent-ils partagé que des entretiens, et non des confessions au sens strict du terme ; sa probité lui interdisait de commettre la moindre indiscrétion, quand bien même eût-elle été en mesure de corroborer son propos. Aliénor de Hexham lui avait fait l’honneur de lui accorder sa confiance, si bien que l’archidiacre bénéficiait d’une vision plus que claire des ravages que parvenaient à engendrer les fantasques agissements d’Edward. Si seulement il n’y avait que le bâtard engendré par la pauvre Aliénor ! Avant Hugues, le suzerain s’était abandonné aux bras de Piers Gaveston, comment croire que le comte de Winchester constituait le grand amour du souverain d’Angleterre ? Sans compter que dès l’adolescence de ce dernier, les frasques avaient débuté, au point que son père l’avait éloigné de la Cour afin de prévenir la Couronne de débordements si peu dignes d’un fils de Roi. Le comportement d’Edward n’avait rien de celui d‘un damoiseau innocemment épris, et même si cela avait été le cas, son attirance pour des membres du même sexe que lui ne saurait être considérée comme acceptable.

-Cette relation est contre-nature, comme toutes celles de la même sorte. Elles offensent la bonne morale, de la même manière qu’un lien charnel entre un frère et une sœur le ferait, sans compter qu’aucune progéniture ne peut en être espérée. N'omettez point que Sodome et Gomorrhe furent détruites par le feu du ciel pour les mauvaises mœurs y ayant eu librement cours.

Le sang de deux cousins, d’autre part, n’était point le même, par définition, ce que le Girondin ne rappela pas, tant l’évidence parlait d’elle-même. Le Seigneur avait été clair : toute relation intime n’avait pour vocation que la procréation, comme le recommandait les Ecritures, et ne devenait approuvable que consacré, dans le cadre du mariage. Sans cela régnait le plaisir animal, la bestialité avilissante, le péché de chair dans son plus abject apparat. Que l’existence des deux cités relevât du mythe ne l’effleurait aucunement : il s’agissait des textes saints, dont aucun bon chrétien n’aurait été en mesure de douter.

-Dieu n’est qu’amour, il est vrai, et il serait lui faire grande offense que de nous imaginer dignes de justifier Ses desseins, ou encore d’en juger la valeur. Je ne m’aventurerai donc pas à proférer pareil blasphème. Sachez seulement que nombre d’âmes vertueuses dépendent de Sa Majesté : méritent-elles de payer pour les inconduites de celui censé les guider ? Les Barons sont loin de soutenir avec la plus grande dévotion leur seigneur, ce qui est un grand malheur et, je le crains, les prémices de temps bien sombres.

Le cardinal prenait garde de ne pas s’engager de trop dans une interprétation de ce que pouvait bien fomenter Dieu au sujet d’Edward II d’Angleterre. Néanmoins, lire entre les lignes ne se révélait pas si ardu que cela : l’Eternel laissait encore quelques maigres chances à son agneau de revenir sur le droit chemin, eu égard au nombre de vies honnêtes qui auraient été plongées dans le chaos en cas de punition divine aussi expéditive qu’un mal subit, qu’un cataclysme dévastateur ou que d’un foudroiement. La grogne montante des nobles lui ayant prêté serment le mènerait à sa perte s’il ne s’améliorait pas, ce qui mènerait à terme à la véritable punition d’Edward : voir son pouvoir repris de ses mains, de même que l’amour voué par son pays à sa personne. Dieu n’était qu’amour, comme l’avait dit Guilhem, avant que son employeur e lui fasse écho : par amour, le Divin tentait de trouver la juste mesure, et non la cruauté la plus intransigeante.

Le sérieux avait imprégné chaque fibre du corps du religieux, jusqu’à animer ses iris d’un bleu limpide d’une volonté inébranlable ; un léger mouvement de sa tête mit imperceptiblement fin à cette attitude à la fois impérieuse et tendue qui avait teinté ses paroles des atours d’une exhortation sans appel.

-… Cela étant dit, je ne vois pas quel est le rapport avec moi.


En toute bonne foi, le prêtre ne parvenait à relier les idées dont l’enchainement servait de charpente au raisonnement de son vis-à-vis. Son esprit, fermement corseté par ce que des siècles de théologie avaient bâti, niait l’existence d’une réponse des plus simples, tellement évidente, puissamment en adéquation avec les murmures couvant en son propre cœur…

Par facilité, sa conscience s’engouffra dans la seule issue possible, le seul prétexte suffisamment plausible pour expliquer où le Croisé voulait en venir.

-Je conçois que vous puissiez me juger trop retiré du monde pour parvenir à saisir toutes les nuances des émois agitant tout à chacun, et de ce fait d’aider le Roi Edward, mais je puis vous assurer que mon échec n’est qu’une première étape. Lors de mon prochain voyage, si Sa Majesté accepte de me recevoir de nouveau, je parviendrai à le sauver. Bien que les doutes m’aient étreint alors que nous traversions la Manche, je sais que mes confrères ne m’auraient pas choisi s’ils m’avaient pensé incapable de mener à bien cet apostolat.

Arnaud gardait envers et contre tout confiance, car bien évidemment, il aurait été inconcevable de s’imaginer que les autres cardinaux l’aient mandé à Londres, convaincus de l’impossibilité de ce qu’ils lui demandaient de réaliser.

-Ayez confiance en moi, voulez-vous ? Et ne laissez pas de concupiscentes pensées mettre à mal votre bon sens. Là réside toute leur malignité : non contentes de condamner toujours plus avant ceux qui les cultivent, elles sont capables d’infecter les esprits les plus nobles. Gardez-vous en, mon ami, je ne saurais que trop vous y encourager.

Surtout, oh, surtout, que Guilhem ne se laisse pas tenter ; en pareil cas, il ne resterait que de bien maigres remparts pour le protéger, lui le droit, lui le vertueux, de sombrer à son tour en de tels abîmes.










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MessageSujet: Re: a mere dream | Guilhem a mere dream | Guilhem EmptyDim 7 Aoû - 13:36





La tranquille assurance et naïveté de l’homme du Clergé parfois le déroutait. Ce n’était pas par calcul qu’il s’était montré aussi grossier mais il s’en félicita secrètement car cela ôta un peu de ce masque divin sans cesse apposé aux traits d’Arnaud et qui lui faisait perdre de cette qualité humaine et charnelle. S’il faisait montre d’ordinaire du plus grand respect envers le légat, il sentait ce soir la flamme de la rébellion brûler en lui, nourrie par trop de sentiments contraires. La singularité de la cour d’Angleterre le hantait depuis le premier jour et la plus grande horreur était sans doute la facilité avec laquelle il acceptait ces choses honnies et la vivacité avec laquelle elle le tenait éveillé chaque nuit durant des heures, tourmenté par ses propres sentiments. Il avait gagné cette force qui lui donnait l’envie de le crier sur tous les toits, ou au moins à l’oreille de son aimé. Penser au Cardinal en de tels termes aurait sans doute eu des raisons de faire sourire mais Guilhem, dans cette existence préservée avait eu tout le temps qu’il souhaitait pour se pencher sur les inclinaisons de son cœur et en être certain. Quand la pointe du désir s’en était mêlée, le doute n’avait alors plus été permis. Il était tombé en amour d’Arnaud. Et il souhaitait que le Cardinal le sache.

Cependant, le Chevalier possédait le courage du corps, celui du cœur était plus ardu à dompter. Et la voix impérieuse d’Arnaud, quand il lui somma de l’écouter, insinua le froid en lui. Il reprit ses airs patibulaires, alors qu’il absorbait avec mécontentement la raison erronée du religieux. Que les « escapades » du roi Robert se soient produites avant qu’il ne rencontre Hugues ne devraient en rien diminuer les sentiments du souverain pour l’homme. Il avait aimé lui-même auparavant, et avec ardeur sa jeune fiancée et pourtant cela ne l’empêchait pas de nourrir des sentiments tout neufs et bien réels pour le Cardinal. Chacun de ses sourires réchauffait de sa peau jusqu’au tréfonds de son être et il avait cette envie de sentir son corps contre le sien, d’avoir le nez dans son odeur. Pourtant toutes ces belles certitudes fondirent comme bougie allumée alors que le légat démontait de tels sentiments et les avilissaient à mesure que les mots coulaient de sa bouche. Avec la froideur d’un assassin des belles pensées. Ce n’était pas le châtiment divin que le Chevalier craignait, mais celui des Hommes.

Néanmoins, la transformation s’opérait et doucement sous ses yeux Arnaud revêtait de nouveau le vêtement pourpre, ne se dissociant plus de sa fonction. Redevenu l’homme de Dieu, il instigua le doute dans la carcasse du Templier qui se demanda comment il pouvait faire à cet homme l’affront de ses sentiments quand il n’en était pas réellement un, d’homme. Il en venait à maudire l’habit et ce qu’il représentait et dû se mordre l’intérieur de la joue pour s’empêcher de le crier à la face d’Arnaud mais aussi du Ciel dont il voulait lui voler son ange. Regardant l’homme de biais, muselé par la force de ses peurs et sentiments tout à la foi, il l’écouta lui demander de lui faire confiance. Ce qu’il ignorait, c’était bien que toutes les fibres de l’être de Guilhem lui étaient gagnées.

« J’ai toute confiance en vous Arnaud. » Et d’un mot, il désacralisa l’homme et le ramena à sa hauteur. « Mais toutes vos bonnes paroles n’auront pas plus d’effets sur le Roi qu’elles n’en auront sur moi. Vous ignorez tout, il est vrai, des émois auxquels nous sommes soumis, nous les terriens. Vous êtres comme retranché dans une tour, à regarder en bas les petites gens s’agiter comme des fourmis et vous ne comprenez ni leur langage, ni leurs envies. » Lestement, avec la souplesse d'un fauve, il se leva de sa chaise pour tomber à genou devant le Cardinal, ses mains agrippant ses genoux sagement couverts. Il chercha ses mains et les piégea dans une poigne dont il ne pouvait se défaire. Dans ce même mouvement, il posa sa joue contre leurs mains liées. Dans un simulacre de prière, paupières closes. Il ne resta pas longtemps immobile, et pressa ses lèvres contre les phalanges chaudes d’Arnaud. « Vous ignorez, ce que cela fait, de se languir du corps d’un autre. De sentir tous ses membres se réveiller sous le poison du désir. En avez-vous d’ailleurs jamais éprouvé ? Avez-vous déjà eu à le soulager ? Vous en parler avec tant de candeur qu’il me plaît à croire que non. Pourtant il s’agit bien de la plus sainte des prières à mes yeux, que de faire naître cela dans son corps et le transmettre à l’autre. De le cueillir de ses gestes, et de ses lèvres et de ses mains. »


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Arnaud de Pellegrue


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MessageSujet: Re: a mere dream | Guilhem a mere dream | Guilhem EmptyMar 16 Aoû - 20:55


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Tout mon être se fissure
Mi-lune mi-homme, une anagramme, un erratum, on me dessine, on me façonne. Je vous fascine, ça vous étonne. J'ai le coeur qui syncope, l'adrénaline au top en battant la mesure. Je suis un songe, un ectoplasme, juste un mensonge, un pléonasme. Je reste de glace face à vos spasmes, je ne trouve pas ma place dans vos fantasmes. Mon coeur sussure, mon âme murmure. Sous mon armure je me fissure.




Comme Arnaud détestait être pris ainsi pour un enfant. Il voulait bien admettre que sa connaissance de ce à quoi la vie la plus simple, la plus banale et la plus humaine, au fond, souffrait de limites clairement marquée, à l’inverse de sa science des textes saints. Cela ne l’empêchait pas de posséder une expérience bien personnelle des rapports humains, jamais expérimentés personnellement, mais dont il avait découvert, au fil des ans, les plus noirs secrets, de la bouche des pécheurs venus le trouver. Au nom de quoi ce savoir atypique avait-il moins de valeur que les acquis gagnés au fil de tumultueuses quoi que discutables odyssées ? Et pourquoi d’ailleurs tant d’agitation aurait-elle eu plus d’intérêt qu’une vie calme, retirée du monde, dédiée à l’adoration de l’œuvre du Christ ?

Le chevalier demeurait hors d’atteinte, désespérément obtus, éperdument épris de douces folies dont le cardinal n’imaginait même pas les accents, ni n’en soupçonnait les ombres au sein-même de la forteresse que décriait Guilhem, cette tour imprenable qui protégeait sa pureté autant que le coupait de tout. Si sur certains sujets, le débat demeurait encore possible, à d’autres moments, l’ancien Croisé repoussait purement et simplement d’entendre quoi que ce fût qui différât de son point de vue. Quand bien même de Pellegrue demeurât certain de la qualité du jugement de son ami, cette propension à se montrer buté avec le dernier des entêtements, presque agressif, presque mauvais, sans pour autant que l’intégrité physique de l’homme d’Eglise puisse être un sujet de craintes ; jamais il n’aurait levé la main sur Arnaud, nul n’en doutait. Il y avait pourtant en ces instants une barrière entre eux que le religieux ne parvenait à franchir, quoi qu’il l’eût voulu, oh, tellement : s’il ne devait y avoir qu’un seul incroyant qu’il aurait désiré sauver des tourments infernaux, le Girondin aurait voulu que ce soit lui, le malheureux chevalier parti de chez lui la bravoure au cœur, et abîmé, tellement abîmé par une vie qu’il ne méritait pas de subir avec tant de peine. Son calvaire pouvait prendre fin en acceptant de nouveau Dieu auprès de lui, chaleur auprès de laquelle reposer son corps ankylosé par maints désastres, pourquoi se cabrer si violemment ? Pourquoi refusait-il d’admettre, ou même seulement de considérer la possibilité que de Pellegrue puisse savoir ce qui serait bon pour lui ? Ses traits fermés par une méfiance exacerbée se révélaient exaspérants, autant que le caprice d’un jeune enfant refusant obstinément ce qui était bon pour lui. Peut-être cela relevait-il également d’une certaine forme de mécompréhension de la part du prélat, car comment était-ce possible que Guilhem lui accorda sa pleine et entière confiance, comme ce dernier l’affirmait, tout en se rebellant contre ses sages conseils, contre sa volonté bienveillante de lui venir en aide ? C’était à n’y rien comprendre, tout ce temps perdu, tous ces efforts dispensés en pure perte, alors que leur amitié perdurait, intacte, atypique, étrangère à ces brèves dissensions comme le vent pouvait l’être de ceux tentant de l’arrêter à mains nues. Plus encore que l’indocilité de de Villaret, c’était encore l’inoxydable ligne de conduite du croyant qui dépassait l’entendement, tout aussi incapable de changer de cap que le Templier l’était de se réconcilier avec les Cieux.

Ce fut pour cela qu’Arnaud, lorsque son ange gardien quitta son siège, détourna presque avec humeur son regard vers l’âtre, à l’instar de son insaisissable garde du corps. Comme avoir la sensation de le voir s’éloigner de lui, autant métaphoriquement que concrètement, de se quitter ainsi, lui déplaisait. Comme accomplir des miracles l’aurait charmé, pour en un claquement de doigts sauver l’âme de Guilhem. Comme savoir que cette si grande opiniâtreté, de la part de son vis-à-vis, constituait le pendant de qualités immenses, telles que son dévouement, sa combattivité, sa force de caractère que même l’Apocalypse ne serait parvenue à jeter à terre, ne parvenait à vaincre l’amertume de ne parvenir à l’atteindre complètement, comme il l’aurait souhaité. Pour sûr, le Gévaudanais, drapé de fierté, allait simplement l’abandonner là, seul avec sa divinité qui lui tiendrait parfaitement compagnie, vu le point auquel son employeur l’appréciait. La porte allait se refermer sur lui, et peut-être qu’avec un peu de chance, au matin, il ne lui battrait plus froid, pour mieux laisser leur routine reprendre ses droits. Contrairement au coup porté par le soldat à son pauvre fauteuil, qui lui avait tiré un sursaut, Arnaud fut surpris par le son presque mat de l’homme d’armes tombant à ses pieds, mais aucune secousse ne le parcourut. C’était si imprévisible, si inhabituel. Pourtant, c’était lui, et tant que c’était le cas, de Pellegrue n’aurait pas peur, pas vraiment, pas comme on l’entendait.

Le voir incliné de la sorte devant lui trouva un écho en son âme, un discret élan ayant pour vocation de lui affirmer qu’il ne méritait pas pareil hommage, pas lui, un simple mortel qui ne faisait que son devoir de bon chrétien, de fidèle ami. Le silence pourtant musela cette humble et ténue résistance, sans doute voilé d’une délicate vanité, car enfin, c’était pour lui que Guilhem acceptait de courber l’échine, et personne d’autre. Oh bien évidemment, l’archidiacre ne pensait pas à mal : il n’y trouvait que la satisfaction d’avoir une nouvelle chance de porter secours à l’incorrigible libre penseur. De le garder encore un peu auprès de lui, égoïstement.
Il ne se figura nullement l’impensable, avec une ingénuité d’enfant sage dont la quiétude n’aurait été troublée par aucune conjecture : devant les Papes, les évêques, tout religieux de haut rang ou simplement des curés de campagne à qui l’on devait beaucoup, l’Humanité parfois ployait le genou, emplie de gratitude, ou de pénibles questionnements. L’on baisait les mains des plus méritants, celles entre lesquelles des vies se trouvaient remises sans hésitation, dans l’espoir d’un avenir meilleur. Il s’agissait d’un honneur, d’une marque de confiance qu’Arnaud n’aurait pas plus souhaité recevoir d’un autre que du chevalier. Lorsque ses lèvres touchèrent ses doigts, ses propres lippes s’entrouvrirent, tandis que, le regard perdu sur la nuque de Guilhem, il avançait à peine le buste, se retenant de tout simplement se pencher sur lui et l’enlacer, à la manière d’un père aimant, dont la seule aspiration se résumait à lui montrer qu’il n’était pas seul dans sa lutte intérieure, que de toute la force de sa compassion, de Pellegrue désirait l’épauler. Là, au plus profond de son cœur, dans le plus grand secret, cet attendrissement dépassait les frontières le définissant, au profit d’autre chose, d’un sentiment semblable, quoi que d’une nature aussi inconnue qu’interdite. Le cardinal lui abandonna ses mains posément, chacun de ses muscles détendus ; une part de lui aurait cependant ambitionné de libérer l’une d’elle, non pas pour repousser le Croisé, mais bien pour avec douceur lui caresser les cheveux, et apaiser ses démons. Immobile, calme, le Girondin n’en fit rien, remarquant à peine avec quelle facilité son garde du corps s’était emparé de son espace vital.

-Je ne connais pas le désir… reconnut l’homme de Dieu avec autant d’humilité que de réalisme, d’une voix traînante, en accord avec le brin de langueur qui s’emparait sans hâte de son âme.

… Si ce n’était le désir de bien faire, le désir de se rendre utile, de le voir retrouver goût à la vie, sourire et panser ses blessures à vif. Si ce n’était peut-être, aussi, cette pointe d’envie titillant par moments sa tempérance, comme un souffle encore inaudible encourageant son innocence à quitter sa prison de verre. À l’inverse de certains ses camarades de séminaire, qui une fois le couvre-feu passé découvraient leur corps dans la solitude de leur cellule –ou encore en compagnie d’un de leurs enseignants, sous le sceau du secret-, Arnaud avait durant son adolescence dormi du sommeil du juste une fois ses heures d’étude terminées. Dieu avait pris possession de sa personne à tel point que les feux consumant les jeunes garçons à un tel âge n’avaient jamais eu la moindre occasion de tenter de l’embraser. Se complaire dans la luxure de cet acabit aurait de toute manière relevé de la pollution, encore nommée mollesse, liée au péché de chair, la troisième plus grave entorse aux commandements divins. Tout, dans son monde privé d’oxygène, n’avait toujours été que candeur, chasteté, et louanges dédiées au Tout-Puissant.

-… Mais je connais l’amour. L’amour de Dieu, l’amour pour ma famille, l’amour pour mon pays, l’amour que j’éprouve pour tout être que notre Seigneur a créé, et placé sur ma route. Je ne nourris pas de souhait plus cher que celui de vous montrer à nouveau que de tels sentiments valent plus que les prétendus délices prodigués par la débauche. Vous les avez connues, ces inclinations lumineuses, l’horreur de ce monde vous les a faites oubliées, mais je sais que rien n’est perdu, qu’en votre cœur puissent à nouveau fleurir de semblables joyaux.

D’aussi fort que Guilhem se crût perdu, et se complût à se voir terre aride faite homme, incapable d’abriter autre chose que de la sécheresse, et que le hurlement du crépuscule. Oh, comme l’archidiacre pâtissait d’un retard patent, lui qui n’avait pas encore remarqué à quel point de Villaret, déjà, était rené de ses cendres, animé d’une nouvelle tendresse.

-J’ai bien conscience de vous avoir demandé beaucoup d’efforts depuis votre entrée à mon service, d’avoir tâché de vous ôter une à une les défenses derrière lesquelles vous vous étiez retiré du monde, à l’abri, solitaire. Je ne l’ai fait que dans le but de vous offrir à nouveau un peu de lumière, bien que cela vous laisse dépourvu d’armure, face aux tentations les plus vénéneuses.

C’était le risque, le péril immense qu’Arnaud avait choisi de courir, la responsabilité qu’il avait également faite sienne : veiller sur la conscience d’un homme duquel il se pensait apte à faire un pénitent, avant de le rendre au bonheur d’une existence saine, respectueuse de la religion. Il y gagnait ainsi une aura sur le chevalier, un pouvoir plus séduisant qu’il n’aurait su l’avouer, et qu’il aurait bien eu du mal à abandonner… En tant que guide, de Pellegrue entretenait une sorte de dépendance, reliant l’ancien soldat du Pape à son sauveur comme une chaine l’aurait fait d’un esclave. Si Guilhem l’écoutait, s’il suivait ses conseils, ou au moins acceptait la discussion, il demeurait à ses côtés, sans plus détourner le regard vers le monde extérieur, pour mieux ne se dédier qu’au cardinal. D’un simple souhait de départ, d’une amourette ou d’une soif de péché, cette mécanique fragile se briserait, et Arnaud le perdrait, un fait attristant devant lequel il ne se rebellerait pas, car aussi douloureux cela serait-il, il accepterait de voir de Villaret prendre son envol, et délaisser sa protection, de nouveau pleinement indépendant, armé contre le Mal. Fierté et tristesse se mêleraient alors en Arnaud, mais ce serait pour le plus grand bien du chevalier, n’est-ce pas. Que l’amour sincère parvînt à se mêler à la perfection à l’attirance la plus vorace lui demeurait encore inconnu.

-Vous trouverez quelqu’un, Guilhem, demain, dans dix jours ou dans dix ans, mais vous trouverez cette personne, j’en suis convaincu, et je vous le souhaite. Quelqu’un qui vous aimera de tout son cœur, qui vous verra comme l’homme que vous êtes, sans se soucier du passé, une personne décidée à construire avec vous le futur que vous méritez, un futur épanouissant où vous parviendrez enfin à vous défaire des griffes des ombres en ayant après vous. Quelqu’un qui vous protégera, vous redonnera le goût à la vie, et ne lâchera jamais votre main, aussi long et accidenté que dût être votre chemin commun.

… Quelqu’un comme lui… ? Quelqu’un dont l’âme se serait tiédie tout comme la sienne en tenant semblable discours au Gévaudanais ? Quelqu’un ayant tourné pour Guilhem la page des années d’errances et d’appartenance à l’Ordre pour lui témoigner de l’estime, de la sympathie ?

-… Une bonne épouse, aimante et sereine, qui vous donnera de beaux enfants, et animera votre foyer d’une chaleur harmonieuse, là où vous pourrez enfin poser votre bagage, et mettre fin à votre voyage.

Quel aveuglement, de ne pas remarquer que c’était déjà chose faite, et que c’était précisément là, dans cette pièce, près du feu et à genoux que le guerrier plus que jamais avait déposé son fardeau, dans l’attente de la meilleure seconde possible pour laisser libre cours à l’émotion le tenaillant.

Les affres traversées par son gardien n’en demeuraient pas moins réelles, et quand bien même le prêtre ne les comprît pas pleinement, le voir torturé par cette étrange douleur n’avait d’autre choix que d’affliger le cardinal, autant que de l’inquiéter.

-J’aimerais être en mesure de vous lénifier, de chasser le déchirement où je vous sens comme pris au piège… avança de Pellegrue, sourcils légèrement froncés devant la difficulté du tour de force à réussir. Comment préférer l’empire des sens, lorsqu’il apporte une pareille souffrance…?

L’amour, sans conteste, s’avérait préférable, au combien préférable, et sa question se révélait parfaitement fondée, ainsi que des plus sincères. Aucun peur à nourrir cependant : de dévotion comme du reste, Guilhem ne manquait pas.










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