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 Nous sommes chacun notre propre démon.

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MessageSujet: Nous sommes chacun notre propre démon. Nous sommes chacun notre propre démon. EmptyMer 14 Oct - 18:03


Arnaud & Guilhem

when you are angry and out of control, you are temporarily insane.

La nouvelle lui était parvenue diantrement tard. Un mois. Voilà ce qu’avait mis le messager pour parcourir le Royaume de France, et non point son entièreté, non ; en cavalant seulement du Gévaudan jusqu’à Paris. Un quelconque héraut, aussi gauche fût-il, et aussi plurales fussent les intempéries, n’aurait pas mis plus de deux semaines à chevaucher. Mais celui-ci, de faquin, sans nul doute, avait été grassement payé pour acheminer le plus lentement possible sa maudite missive. Une épitre qui avait on ne peut plus saboulé de Villaret ; il y avait appris le décès de son ainé Pierrick, succombant d’une blessure grave endurée à la chasse. Oh, cela, bien que regrettable, n’avait pas été un réel drame pour l’Allencois. Pierrick et lui n’avaient jamais été que deux antagonistes partageant le même sang, deux forces continument opposées que le départ de Guilhem pour la Terre Sainte avait probablement sauvées d’un inéluctable fratricide. Nonobstant la perte relative que constituait le trépas de son frère, la forfaiture qu’avait commise l’ainé à son encontre laissait au chevalier l’amertume d’une ire brute. Pierrick l’avait tout bonnement destitué, choisissant pour successeur des terres d’Allenc leur jeune frère Roland, troisième fils parmi les six qu’avait eu le seigneur son père. La lettre du notaire – car Roland, être faible et sournois, n’aurait jamais eu l’hardiesse de rédiger lui-même ces mots – arguait faire valoir par la présente le souhait testamentaire de Pierrick de Villaret et soulevait, en points humiliants mais non moins véridiques, la vie déshonorante et rétrograde qu’avait choisi Guilhem de Villaret, vie ô combien rédhibitoire pour ce legs lui revenant normalement de droit. Et ainsi fait, en quatre paragraphes et deux seings, l’on avait scellé son futur. Banni depuis des années, il se trouvait à présent dépouillé de tout. Ainsi la nuit, amante farceuse de ses insomnies, l’avait-elle mandé dans ses bras lorsque le crépuscule s’était montré, déterrant l’homme morose du Palais de la Cité où tous dormaient à poings fermés – du moins les consciences tranquilles et les ingénus. N’importe quelle taverne avait alors fait l’affaire, happant son errance comme l’on cueille un fruit mûr, et le jetant aux gueules voraces qu’étaient ces choppes et ces bocks emplis de la sacrosainte ambroisie : l’oubli. Gorgeons après lampées, l’échine s’était pliée jusqu'à piquer complétement du nez, yeux ternes immobilisés sur le bois de table, paluche soutenant le front. Il ne s’était jamais senti plus démuni qu’à cet instant. Jamais plus spolié de toute chose. Le Temps avait dévoré son amour, et son Sang lui avait arraché ses terres. Que Diable lui restait-il à présent, sinon que les jours hasardeux d’une existence en suspens ? Il lui semblait avoir raté chaque chemin de vie, avoir manqué chaque virage. Les quarante années viendraient bien assez tôt, et qu’aurait-il donc à festoyer ? Ses faits d’armes ? Sa vie familiale pleinement comblée ? Rien de tout cela, assurément. Sa fierté d’homme, cette soirée là, sanglota en silence, garrotée dans un buste fait pour les batailles et néanmoins englouti sous des litres d’alcool. Il aurait volontiers confié ses peines à de Pellegrue, visage familier et apaisant dans ce lagon de squales, mais orgueil et pudeur l’en retenaient. Avait-il seulement le droit de lamenter son ostracisme matériel à un homme pour qui la vanité était signe de péché ? Et puis qu’aurait-il à rasséréner, puisque le mal était fait. Il n’avait avec lui ni avantage, ni argument, dans cette rixe perdue d’avance. Pierrick, dans son caveau, devait sourire. Un large et effroyable sourire de goule satisfaite.

Sortir de la taverne ne lui fit aucun bien. Ivre tel un suppôt de Dionysos, il trouva dans l’air non pas la fraicheur escomptée, mais bien la moiteur d’une soirée d’août comme seule cette cité en possédait l’âpre goût. L’Humanité qui restait à cette heure tardive sur les pavés de la ville tenait plus de la bête que du réel Homme ; mendiants, coupe-jarrets, ribaudes, difformités monstrueuses et autres raclures profitaient de la noirceur pour vaquer à leurs infamies, tout autant de silhouettes près desquelles passait un de Villaret titubant, et tout autant de paires d’yeux qui se rivaient sur lui, tantôt hostiles, tantôt renardes, ou même lubriques. Faisant fi des risques encourus, le reitre déambula à rebrousse chemin avec sur la figure un aplomb rare que l’on ne trouvait que sur les visages guerriers et les faciès d’hères n’ayant plus rien à perdre. Armé de son seul poignard arabe, il eût été aisé pour quelque bandit de le prendre par surprise et l’occire dans une venelle, mais la providence, autrement que la félicité, fut cette fois avec lui ; sain et sauf – si tant est que l’on considérât son âme comme sauve – il traversa le Grand-Pont à pied et rentra au Palais. Le chemin jusqu’aux appartements qui avaient été légués au cardinal ne fut pas laborieux à retrouver, coutumier qu’il était d’emprunter chaque jour ce même layon ; puisqu’il y logeait lui aussi. Du moins lorsqu’il n’était point occupé à s’alanguir dans une autre couche que la sienne, le corps tiède et douçâtre d’une femme à ses côtés – emmener l’une de ces naïades dans l’antre du plus pieux être de tout le castel eût été impensable, pour l’un comme pour l’autre. Les domestiques ouvrirent au colosse mal luné et le buffle d’entrer sans plus de mondanités. Sa démarche, certes vacillante par instants, ressemblait à un éboulis de roches prêt à fracasser le moindre passant. Grognements et roulements brusques d’épaules furent sa seule éloquence, puis il traversa le long corridor au parquet moiré, empoigna un chandelier allumé et entra dans sa chambre sans une once de douceur. Un silence éphémère dura, et puis, subitement, on l’entendit asséner Dieu seul sut qui d’une injure patentée. Un domestique accourut sitôt, suivi d’une femme de chambre replète au visage rubicond.

« Vous ! » Un doigt accusateur accueillit le duo, et plus que l’index impérieux, ce fut le rictus bilieux du garde qui arracha un hoquet de crainte à Cyrielle. « Qu’avez-vous fait de mes affaires ?! Cette pièce est sens dessus dessous !Monsieur Guilhem, calmez-vous, votre chambre est telle que vous l’avez laissée…!L’est-elle vraiment, Anthelme ?! Il est une chose que je chéris en ce lieu et figurez-vous qu’elle n’y est plus. Le Diable lui-même serait-il venu me l’ôter, ou bien l’un d’entre vous aurait-il eu l’audace de me la ravir ?! » L’Allencois rauquait tant et si bien qu’Anthelme reculait à mesure que les pas jupitériens avançaient. Il en était blanc comme un linge. « Qu-quelle est-elle, cette chose, Monsieur Guilhem ? » Tenta de calmer Cyrielle, non sans interposer son embonpoint entre le chevalier et le domestique. « MON ÉPÉE. »  Le hurlement, sorti tout droit des Enfers, fit s’entrechoquer les rotules d’Anthelme, devant qui la femme de chambre leva les mains, en signe de reddition. « Je ne sais pas !C’est… c’est moi qui l’ait rangée, Monsieur, Son Éminence étant fort peu férue d’armes, j’ai pensé qu’il valait mieux la celer dans votre coffre. » Le mutisme frappa les trois personnages. Cyrielle priait intérieurement, et de toutes ses forces, pour que la bévue de ce simplet d’Anthelme ne lui vaille pas pire qu’un blâme. Anthelme, lui, lorgnait les ridules de de Villaret derrière le chignon de Cyrielle, et, Guilhem, lui… prit une profonde inspiration, tourna talons, alla au centre de la pièce, plia un genou au bord du lit à baldaquin, ouvrit le coffre, en sortit sa Compagne et se redressa. « Ainsi est-Tu condamnée à la solitude, ma Belle, parce que la vue de tes courbes indigne et offense. » Il leva à hauteur d’yeux le fourreau ouvragé, flatta les gravures de doigts idolâtres, et parut, un bref instant, trouver la paix dans ces caresses affables. Sans crier gare, toutefois, son poing s’enroula sur le manche, tira, et exhiba une lame aux lueurs d’orage qui vint menacer de son museau l’effigie d’Anthelme. Cyrielle s’était écartée, brave femme qui tenait tout de même plus à sa vie qu’à celle de son idiot de compère. Voici pourtant qu’elle se mit à crier et gesticuler nerveusement devant la scène aux airs de tragédie grecque. « Quelle est cette marotte qu’avez vous autres chiens, de me déposséder de tout bien ?! RATS ! Observe donc ton reflet dans le miroir qu’est ma lame, et dis-moi encore que tu l’abhorres ! Je me ferai un plaisir d’écimer cette tête qui est tienne ! Je lui trouverai bien une utilité, lorsqu’à mes pieds elle roulera… » À la férocité du geste et du ton, Anthelme répondit par des bredouillements gauches et pétrifiés. Suite à quoi il ramassa un piètre pot de chambre et le présenta en guise de bouclier. « Je vous en supplie, entendez raison ! Vous… vous n’allez tout de même pas…!Voilà qu’il me mésestime, maintenant ! Tu doutes, coquin ? Je m’en vais te rassurer…! » Cyrielle brama de plus belle. Anthelme voulut fuir. De Villaret le pourchassa. Du mobilier s’effondra. Des vases furent brisés. D’autres domestiques, éveillés par le tintamarre, essayèrent d’apaiser le vaudeville grandeur nature. Pire en fut la traque. Et d’une enjambée à une autre, prédateur et proie déboulèrent avec violence dans la chambre du cardinal, éventrant l’huisserie et apportant au lieu tout le raffut cacophonique d’un loup atrabilaire, et de son agneau pris au piège. « À MOI ! AU SECOURS ! »


Dernière édition par Guilhem de Villaret le Sam 24 Oct - 20:33, édité 3 fois
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Le loup

Le secret dévoilé
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Arnaud de Pellegrue


Arnaud de Pellegrue
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MessageSujet: Re: Nous sommes chacun notre propre démon. Nous sommes chacun notre propre démon. EmptySam 17 Oct - 23:26

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Arnaud & Guilhem
« Hearts are wild creatures, that's why our ribs are cages. »





La nuit, aussi courte serait-elle, avait étonnamment été bonne. La chaleur limitée quoi qu’entêtante qui tourmentait les Parisiens de tous rangs depuis le début de l’été n’avait fait montre d’aucune pitié durant les heures du jour, marquées par un soleil scrutateur : les rues de la capitale, à peine rafraîchies par les eaux houleuses de la Seine, ne bénéficiaient d’aucune forêt dont l’ombrage aurait pu lui apporter une once de consolation, là où les pavés, encore tièdes, gardaient avec eux après le crépuscule le fantôme de la fournaise qui avait menacé d’envahir la ville depuis plusieurs semaines déjà. Dieu soit loué, l’on ne parlait pas encore de la canicule du siècle, et les paysans alentour ne craignaient pour le moment pas vraiment de voir leur récolte partir littéralement en fumée, en proie autant à la sécheresse qu’aux incendies accidentels, véritables fléaux que seuls les nantis vivant dans des demeures en pierre ne craignaient pas tant que cela. Et que dire des privilégiés confortablement lotis sur l’Île de la Cité… La proximité du fleuve ainsi que les jardins du palais constituaient un pâle remède aux caprices d’Hélios, ce qui n’aidait pas toujours Arnaud à trouver aisément le sommeil. Sous la fine caresse de ses draps, tout contre son oreiller de plumes, il gâchait de longues minutes aux allures d’heures entières à se tourner et se retourner, fatigué sans vraiment l’être, avant de péniblement sombrer dans un assoupissement sans rêve. La nourriture particulièrement riche qui lui était servie n’aidait sans doute pas non plus : en tant qu’invité de marque du Roi Louis, il lui arrivait régulièrement de partager ses repas à la table du couple royal, notamment au souper, et ce le plus souvent à la demande de Clémence de Hongrie, pour qui l’amitié du cardinal constituait un bienfait indéniable. Dans le cas où aucune obligation ne requérait sa présence auprès de ses hôtes ou de hauts dignitaires désireux de rompre le pain avec lui, de Pellegrue ne rechignait nullement à manger paisiblement dans ses appartements, quoi que cela ne réglât point le souci du contenu de son assiette, entre viandes en sauces et mets exquis dont la beauté autant que le fumet aurait fait saliver un humble paysan jusqu’à s’en déshydrater complétement. Le vendredi et les chairs maigres qu’il incombait aux Catholiques de consommer rétablissaient quelque peu la balance, mais à nouveau, trop peu pour que certaines nuits, un embryon d’insomnie de le guettât.

D’ordinaire, converser un brin avec Guilhem sous les étoiles, assis dans l’encadrement de l’une des hautes fenêtres de granit percées le long des couloirs secondaires du palais, quand l’heure tardive avait déjà envoyé au lit la grande majorité des domestiques, suffisait à calmer ce mal. Ce soir-là cependant, le cardinal avait vu son fidèle garde du corps s’éclipser, l’expression fermée, les yeux perdus dans le vague, fantôme immense disparu sans un mot, ni un regard, perdu dans son monde intérieur. De Pellegrue, sensible comme il l’était à ses semblables, et doublé d’une perspicacité très fine en matière de compréhension de l’âme humaine, ne put que le remarquer, sans pour autant oser intervenir : le chevalier savait qu’en cas de besoin, l’ecclésiastique serait toujours disponible pour lui, quel que fût la nature du tracas le taraudant. S’il avait préféré se retirer, c’était peut-être qu’il n’éprouvait pas le besoin de faire appel à lui… Une légère morsure d’inquiétude marqua son cœur, mêlée de regrets quant au fait que l’ancien Templier n’eût pas désiré se confier à lui, voire même d’une ombre de vexation, comme si le Girondin, au fond, n’avait pas été jugé digne d’exercer une de ses prérogatives ; inconscient des sentiments nouveaux commençant à ramper dans les bas-fonds de son inconscient, Arnaud ne crut qu’à un peu de déception, n’égalant en rien le mouron qui l’avait pris en voyant son protecteur lui tourner le dos, et ce pour ne plus vraiment le lâcher.

De Villaret avait toujours été libre de ses mouvements, en cela son employeur n’avait à aucun moment posé ou seulement songé à lui imposer la moindre restriction à ce sujet, puisqu’à l’origine, l’homme d’Eglise n’avait même pas été désireux de prendre à son service une fine lame dont la mission serait d’éviter que tout mal lui soit fait. Cependant… Oh, bien sûr, Guilhem était un guerrier accompli, il se trouvait parfaitement capable de se débrouiller du seul… Enfin… Diantre, c’était ridicule, mais l’aristocrate percevait au plus profond de lui-même, le plus instinctivement du monde, que les quelques efforts sur le chemin de l’amélioration et de la guérison de son cher ami se trouvaient complètement mis à mal par ces escapades nocturnes aux accents de suicide moral, et même complètement annihilés. Un pas en avant pour deux effectués en arrière, voilà ce qui donnait au saint personnage une sensation d’impuissance contre laquelle il s’avérait difficile de passer outre. Ç’avait pourtant été la retenue qui était sortie triomphante, le convainquant de ne pas s’en mêler, tout en espérant secrètement de toutes ses forces que tout se passerait bien pour Guilhem – un vœu pieux dans tous les sens du terme.
Ce souci ne cessant de tourner dans un coin de son esprit, inlassablement, à l’image d’un insecte irritant ou d’un mauvais génie, l’accompagna jusqu’à la table de son écritoire, où répondre aux diverses missives lui arrivant des quatre coins de cette petite portion d’Europe, de la Bretagne jusqu’à Avignon, fut marqué par la dissidence de ses pensées, revenant incessamment au Gévaudanais. Que faisait-il, qui voyait-il ? Quel danger courait-il, et à quel point le monde extérieur, loin de leur cocon, risquait-il de lui nuire ? Des questions sans réponse qui, bientôt, firent abandonner au prêtre sa plume, de guerre lasse, pour tenter de calmer une telle rengaine par le concours de sa couche : une fois allongé dans le noir, il serait bien plus aisé de se contraindre à la tranquillité d’esprit, puisque le lendemain serait un nouveau jour, où y voir plus clair.

Toutes ces circonstances auraient dû faire que le bien né peinât avant de trouver les bras de Morphée… Et pourtant, les ténèbres se refermèrent sur lui telle une confortable chape de plomb dès que sa tête rencontra son oreiller. Nul rêverie idyllique ou cauchemar pénible, tout ne fut qu’oubli et absence, et un univers vide de tout, même de sa propre conscience, en un abandon total, au cœur duquel regagner des forces tout autant que s’abîmer en des profondeurs dont nul ne gardait aucun souvenir une fois revenu dans le monde des vivants. Et Dieu savait à quel point son fidèle serviteur en aurait besoin, plus tôt qu’on aurait pu le supputer…
Le cardinal ne réalisa pas ce qui le tira de la gangue dans laquelle il avait plongé, à peine quelques heures auparavant, pas complètement. Connaissez-vous ces réveils étranges, entre deux eaux, nés de votre sixième sens qui, bien avant tout les autres, avait été alerté du trouble à venir ? Ce fut ce que de Pellegrue expérimenta, son subconscient monté au créneau bien avant sa propre raison. Se redressant sur un coude, il prêta l’oreille au vide alentour, au château qui aurait dû être, comme lui tantôt, plongé dans le plus profond des sommeils… Des éclats de voix entremêlés de bruits sourds, étouffés par les épaisses cloisons de pierre, quoi que définitivement plus proches qu’il n’y paraissait, lui parvinrent. Sourcils froncés, le Girondin resta immobile quelques secondes avant d’allumer la chandelle près de son lit, à l’aide d’une pierre à briquet qu’il trouva à tâtons, l’éclat de la lune lui étant voilé par d’épaisses tentures bloquant sa fenêtre. Dès que la petite flamme dansa au sommet du bâton de cire, le son sembla se concrétiser, comme si le halo de la bougie avait fini de complètement lui rendre ses facultés : non, définitivement, quelque chose n’allait pas, et qu’importât la plus élémentaire des prudences, le religieux s’en allait en découvrir la cause, et ainsi en avoir le cœur net.

Seulement vêtu d’une longue chemise de nuit aux manches bouffantes, lui donnant d’ailleurs un petit côté enfantin, en contraste sensible avec le côté cintré et guindé de la soutane rouge sang qu’il arborait de jour, il s’employa à passer ses chausses, qu’il avait abandonnées la veille non loin de son lit, tenue informelle qu’il préférait sans mal lorsqu’aucune obligation protocolaire ne le contraignait à porter l’uniforme. À peine de Pellegrue eût-il fini de se vêtir de ce maigre atour que la porte de sa chambre s’ouvrait tout grand, comme enfoncée par un ouragan, en un chaos de cris, de suppliques et de mouvement désordonné.
Sur le coup, Arnaud crut que les trois Parques étaient venues le chercher, l’une fine et frêle, l’autre ronde et rubiconde, la troisième massive ; puis son imagination, galvanisée par l’adrénaline, lui fit discerner deux âmes éperdues s’élançant vers lui, tourmentées par une bête hirsute, un monstre tiré de sa tanière et désormais lancé dans la quête sanglante de victimes desquelles broyer les os. Un battement de cils plus tard et l’illusion se dissipait, en apparence tellement absurde, et pourtant aux effluves de saisissement tenaces : figé, sa chemise de nuit à moitié glissée sous sa ceinture, l’archidiacre fut le témoin de l’entrée fracassante de deux de ses domestiques, vraisemblablement poursuivis par un Guilhem de Villaret en proie à une folie furieuse digne de terroriser toute une poignée de ses gens, eux aussi emportés par la tourmente d’une telle force de la nature devenue hors d’elle. Sur son front, une boucle brune, dont les consœurs rebelles ne demeuraient pas plus ordonnées, traçait comme une virgule irrévérencieuse, symbole de la puissance du coup de théâtre menaçant de faire basculer tout leur petit monde dans la plus complètes des débâcles.

Cyrielle, les traits baignés de larmes autant que son souffle se trouvait court après cette brève course-poursuite, parvint à balbutier un appel à l’aide, implorant ainsi son maître de s’arracher à toute paralysie :

-Oh Monseigneur, Monseigneur… !

Il y avait tant d’espoir dans sa supplique, tant de désespoir en même temps, de peur et de soulagement à l’idée d’avoir enfin trouvé de quoi se prévenir de la hargne de de Villaret… Pourtant, à aucun instant, Arnaud ne posa les yeux sur elle, ni même sur Anthelme ou sur la petite troupe massée sur son seuil. Toute son attention s’était braquée sur Guilhem à la seconde où il l’avait reconnu, et comprit qu’en son cœur brûlait un feu aussi pernicieux que celui des Enfers, contre lequel il devrait lutter, seul capable d’en enrailler la logique fatale. Ses iris, de la teinte d’un ciel sans nuage, avaient trouvé ceux anthracite du Templier pour ne plus les lâcher, en ce pouvoir quasi mystique qu’avait le religieux de lier son âme à celle de ses vis-à-vis, magnétisme de commisération plus que d’asservissement.


Nous sommes chacun notre propre démon. Tumblr_n4my2tRfQB1rxm9ewo5_400-Guilhem…

Ce simple mot, ce simple nom, n’avait pour autre but que de centraliser l’attention de son garde du corps sur sa personne, pour mieux lui faire oublier les autres protagonistes de cette ébauche de drame. L’offensé n’avait rien contre lui, ne lui voudrait même jamais aucun mal –cela, le cardinal aurait pu le jurer la main sur le cœur… Le faire se focaliser sur lui et sur rien d’autre constituait le meilleur premier pas possible afin de le raisonner.


Un pas en avant de sa part, dans la direction du belligérant, suffit amplement aux deux employés de maison fautifs pour voir se dessiner un havre de sécurité en l’espace laissé derrière l’homme de Dieu. Osant franchir la distance respectueuse que des gens de leur caste se devaient de respecter vis-à-vis d’un noble de sa qualité, ils se blottirent presque dans son ombre, craignant à la fois que leur ultime rempart ne cède, et que leur cardinal si respecté et si apprécié ne paie le prix de son audace. Seul, il se dressait devant la rage de l’épéiste, sur la lame duquel dansait la clarté nées des nombreuses bougies ayant joint leurs efforts à celle de de Pellegrue… Seul, et cependant sans peur, sans une once d’intimidation ou de gants pris pour ne pas effaroucher plus encore son interlocuteur. Tant de choses expliquaient pourquoi le pieux personnage se sentait sûr de lui, certain de s’en tirer indemne : tout ce que sentait ce dernier néanmoins, c’était sa compassion et son désir d’aider le malheureux, dont l’emportement à ses yeux ne montrait que trop son égarement ; autant de filaments déployés vers le soldat pour les rapprocher l’un de l’autre tout en oblitérant le reste de l’univers, pour mieux sapper sa colère, et de la sorte désarmer cette situation tendue. C’était aisé pour le Girondin, le monde se résumait si bien à son protecteur, si simplement…

Ses mains se levèrent lentement, nullement à la manière qu’avait eu Cyrielle en tentant de se dédouaner de toute responsabilité : ces paumes-là étaient celles qui apaisaient, qui appelaient à la paix dans les cœurs et aux tourments abandonnés derrière soi, celles qui soulageaient les malades de leurs douleurs, bénissaient les foules, n’appelaient à rien d’autre qu’à l’amour de son prochain, à la douceur, à la cicatrisation de toutes les plaies. Les domestiques, lèvres scellées, observaient la scène en retenant leur souffle, croyant voir un matador à la fois admirable et insensé tenter d’amadouer une bête fauve, et il y avait fort à croire que si Arnaud parvenait en un tour de force inénarrable à parachever une désescalade de la violence entre ces murs, sa légende déjà bien ancrée n’en grandirait que plus, démiurge sacro-saint devant la bienveillance duquel nulle once de ténèbres ne saurait résister. À cela, de Pellegrue ne songea pas plus qu’au reste, son esprit uniquement occupé par le point auquel le faciès de son garde du corps se trouvait ravagé par tant de sentiments aussi puissants que voraces, et ce que cela signifiait –ô chagrinant spectacle d’une âme en peine tombée sans parvenir à se relever.

Un nouveau pas vers son ami fut réalisé, plus discret que le premier, et sa voix, lente, profonde, ne reflétait que mansuétude, sérénité, grâce :

-Guilhem, regardez-moi… Voulez-vous bien me dire ce qui se passe, je vous prie… ?

Cela était tourné comme une faveur que le prêtre lui aurait demandée, et non l’injonction d’un employeur sur le point de céder à son tour à l’irritation. Pour aussi comique que tout ce remue-ménage puisse sembler, il ne fallait pas s’y tromper, et le cardinal en avait parfaitement conscience : de Villaret était armé, bretteur au talent indéniable, et à l’emportement potentiellement ravageur ;  tous ici risquaient à des degrés divers de se trouver blessés, un écueil qu’Arnaud ferait tout pour éviter, tout ce qui du moins se trouverait en son fragile pouvoir.






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Dernière édition par Arnaud de Pellegrue le Sam 31 Oct - 17:38, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Nous sommes chacun notre propre démon. Nous sommes chacun notre propre démon. EmptyMar 20 Oct - 23:58


Arnaud & Guilhem

when you are angry and out of control, you are temporarily insane.

L’éréthisme fluait en tous sens sur les ridules masculines. C’était comme de voir un masque théâtral, ceux à la grimace gênante et luciférienne, admonestant le regard spectateur d’un indéchiffrable embarras. Les calots vipérins de l’épéiste soul n’en démordaient point de la figure alarmiste du malheureux Anthelme pris en grippe, tous muscles noueux prompts à ne faire qu’une maigre bouchée du domestique, l’arme au poing et la lame fâcheuse. Son souffle erratique donnait au chevalier une mine patibulaire que sa barbe et la fatigue de ses cernes contribuaient à affermir mais, là où s’épanchait davantage sa nocivité, c’était dans le tréfonds de ses yeux d’un bleu acier où se mourrait une flamme jadis lucide. N’était-il pas grotesque, le preux guerrier, le Commandeur de la Terre Sainte, ainsi dressé en rempart délétère contre un pauvre hère tout pantois et effrayé ? La honte de l’orgueilleux soldat n’allait pas tarder à faire son chemin dans les réflexions embrumées qui en tapinois berçaient encore son esprit, mais du temps que fut fait la progression, il resta un ultime essor d’impudence morfale à Guilhem pour grogner son humeur – d’un timbre si grave qu’il semblât faire frémir les tentures de la chambre. Car oui. Il se trouvait bel et bien dans une chambre autre que la sienne. Le constat fit s’affaisser quelque peu la garde de l’arme comme se détachaient les orbes de l’Allencois pour voguer cette fois à l’encontre du cardinal. Apparition céleste dans la masse chagrinée que constituait la troupe conglutinée, Arnaud fit montre d’une patience coutumière qui, dans ce chapelet de cris et de rauquements jusqu’ici proférés, broda l’atmosphère d’une douceur lénitive. Les bottes du belliciste couinèrent sur le parquet en même temps que se détendit la silhouette orageuse, rendant aux épaules assassines leur cape impavide ; du moins en apparence, car la prise de conscience laissait le faciès belliqueux dans une chape de plomb. L’ambroisie méphitique sinuant dans ses veinules provoqua un lourd soupir, aussi las que froissé, avant de faire abattre le fer d’un manche spolié de toute force invasive.

La lame accosta le sol – manquant fendre le délicat bois encaustiqué – et le phonème de de Villaret, pour autre chose qu’un grondement fauve, articula avec peine mais sincérité. « Mes excuses. » Cela tout autant adressé au Girondin qu’à la flopée l’entourant, tant de petits animaux apeurés s’étant réfugiés derrière leur seul et unique espoir salvateur. Il ne fallait point s’attendre à une courbette piaculaire de sa part, ses apologies lui avaient déjà suffisamment lacéré le palais, mais la bête furieuse avait d’ores et déjà rendu son trône à l’homme civique, celui doté de parole et d’inhibition savante. Tout un noble gentilhomme qui gisait derrière cet enduit de pugnacité martiale. Le poitrail soulevé par d’ultimes anhélations, l’Incoercible torsada la nuque dans l’espoir d’éviter le portrait Ô combien déstabilisateur de l’Ecclésiaste et, tout en cheminant jusqu’au plus proche siège qu’il vit, ramena sa longue et lourde épée de telle sorte à, une fois assis, la déposer sur ses cuisses. Consignée à l’immobilité.

Un bras plié sur l’accoudoir et la paume de main soutenant le front suintant, Guilhem suspendit son verbe du temps que la multitude de pas ne sorte du lieu comme l’exigeait la bienséance – une bienséance dont il avait abusé jusqu’ici, mais il n’était pas quelque piètre laquais de basse condition ligoté aux convenances de tout subordonné. Lorsque fut clos l’huis et qu’un semblant d’intimité put être palpable entre eux deux, la figure hirsute s’arracha aux landes moroses de la paluche pour se river vers son bienveillant ami. « Je vous ai réveillé. » Détail factuel qui peina et irrita tout à la fois le garde. Ses prunelles musardèrent contre la stature de de Pellegrue, flânant avec lenteur sur l’allure singulière de l’homme d’Église – allure que de Villaret préférait autrement aux tenues officielles du Religieux et qui le rapprochaient plus du commun des mortels. Plus de lui, donc. Mais cela, il se garda d’en confesser la moindre syllabe, d’autant plus qu’il était mécontent de son œuvre. Expirant derechef, il limogea son attention vers quelque mobilier aléatoire et, à la lueur timorée des cierges embrasés, avoua. « Une mauvaise nouvelle, Votre Éminence. Croassée la veille par une estafette de malheur. L’on m’a annoncé le trépas de mon frère. Et avec son repos, le fléau de sa traitrise. Voyez-vous, le félon est parti sommeiller dans sa tombe en s’assurant au préalable ne jamais me voir seigneur de nos terres. Fonction qui aurait dû m’incomber et qui, pourtant, revient à mon puîné Roland. Peste soient-ils tous ! » Son flegme, il ne l’avait point gardé bien longtemps. L’alcool et la colère n’attisaient que trop encore ses élans hardis. Sûrement l’entendit-on damner son sang à l’autre rive des appartements du cardinal, et sûrement s’inquiéta-t-on un bref moment de la sûreté de de Pellegrue, enfermé seul avec le lion. Mais le félin, aussi furibond fût-il, n’aurait jamais, au grand jamais, menacé la vie d’Arnaud. Comme les cieux chérissent leur ardent soleil, Guilhem ne vénérait que trop le pieux adonis pour ne serait-ce qu’évoquer l’idée d’un moindre heurt à son égard. Se reprenant d’une gestuelle laconique, il riva droit ses billes contre le miroitement frondeur de sa Belle Alliée. « Voici tout ce qu’il me reste. L’épée de mon père, et de son père avant lui. » L’auscultation des prairies camuses qu’était la lame tira aux yeux du déshérité un émoi tel, que l’on crut un instant voir poindre une rivière endeuillée sur le flanc de ses cils. Il n’en fut rien. Autant de larmes que le fier homme se refusait à cristalliser. Ce joyau lui avait été légué dans sa prime jeunesse, lorsqu’adoubé on le fit. Un auguste présent dont lui avait fait grâce son pater, fort de son affection pour ce second et prodigieux fils. Sans conteste, ce népotisme fut ce qui sustenta l’inimité de Pierrick à son égard. Guilhem, de tout juste un an son cadet, le devançait alors en toute chose martiale, de par sa vigueur, sa force et son adresse, comme de par son physique, un port altier et robuste dont n’avait certes pas hérité son ainé, petit, quelque peu raboteux et d’un pied si dur que le moindre des destriers le renvoyait sitôt à terre. La jalousie, mal fécond dans le cœur du garçon, s’était heurtée à la personnalité rogue et pugnace de son frangin ; une rivalité qui avait perduré à l’âge adulte et qui, comme Abel et Caïn, n’avait ensemencé dans la famille de Villaret que désastre et affliction. Le testament de Pierrick en avait été le point d’orgue. Le dernier coup de surin campé dans le poitrail de son détestable puîné.  

Le râble de l’Allencois se perdit un peu plus dans l’enfonçure du dossier, plantant ses coudes de part et d’autre du siège et laissant filer des doigts nonchalants sur l’arme légitimement précieuse. Son crin court s’était de telle sorte établi contre le bois qu’il pouvait mirer l’archidiacre de Chartres sans grand effort. Sa vision, trouble et éthylique, lui donnait à voir, cintrant le bellâtre tel un halo, une majestueuse couronne céleste, séraphique. Une chimère onirique qui le confronta à sa modicité d’être humain, une révélation divine qui lui fit perdre le fil de ses réminiscences. L’écho de ses hurlements revenait en légion disparate dans le silence imposé, une armée d’avanie le déshonorant lui et le souvenir d’un père qui avait pu croire en son fils. Sa senestre, habilement, retira la chevalière cintrant son index gauche, un or finement ciselé qui déchut entre ses phalanges et vers quoi il bascula son regard. Des armoiries y paraissaient, fendues par endroits pour n’avoir que trop guerroyé sur une main de soldat. Le timbre grave formula, la pesanteur d’une neurasthénie pérenne en bout de lippes. « J’aurais dû rester en Orient. Ma charogne ravalée par le désert. Voilà quelle était ma place, bercé par l’astre solaire, une flaque de sang pour toutes ailes. Dites-moi, Arnaud... » La barbe se dressa. « Le Seigneur m’en veut-il ? » Interrogation insipide que le cardinal ne devait que trop ouïr, bêlement favori de ses ouailles, et pourtant… La question trouvait un sens nouveau de la bouche du Templier. Il ne s’apitoyait guère sur son sort, sinon qu’il cherchait le pardon du Tout-Puissant, comme un fils le pardon de son père.
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Le loup

Le secret dévoilé
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Arnaud de Pellegrue


Arnaud de Pellegrue
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MessageSujet: Re: Nous sommes chacun notre propre démon. Nous sommes chacun notre propre démon. EmptyDim 25 Oct - 22:12


Nous sommes chacun notre propre démon. 534732xavierstea1 Nous sommes chacun notre propre démon. Tumblr_n7jtxp3hAu1qjjo6qo3_r1_500
Tomorrow is not yesterday
Darling, you're hiding in the closet once again. Start smiling, I know you're trying real hard not to turn your head away. Pretty darling, face tomorrow, tomorrow is not yesterday. Pretty please, I know it's a drag, wipe your eyes and put up your head. I wish you could be happy instead. There's nothing else I can do but love you the best that I can.





Arnaud était fou, de tant de manières différentes, et de façon quasiment indéniable. Enfin, quel être suffisamment raisonnable se serait ainsi tenu face à un combattant aguerri mesurant plus d’une demi-tête de plus que lui, sans arme, ni armure, ni une once de talent guerrier capable de le faire résister plus d’une seconde à son adversaire ? Certainement le même type de doux rêveur complètement insensé pour croire dur comme fer –et pire encore, passer son temps à convaincre ses semblables- que leurs êtres abritaient un fantôme unique appelé à leur survivre, qu’une femme avait réellement pu tomber enceinte sans même être touchée, ou encore que la volonté d’une créature que personne n’avait jamais vue serait à même de réparer tous les torts survenant en ce misérable monde. L’illogisme avait gagné ses lettres de noblesse en tant que dogme indiscutable, et aussi fort qu’il accordait du crédit à l’idée d’un Dieu omnipotent, le parent de feu Clément V demeurait intimement convaincu que son propre sang ne serait pas répandu cette nuit-là. Cela ne pouvait s’expliquer, sinon par un merveilleux artifice que les Chrétiens appelaient la Foi, et qui inspirait le religieux jusque dans la moindre fibre de son corps, une confiance absolue en son Créateur aussi bien qu’en l’une de Ses créations en particulier, son ami, son ange gardien, cette autre âme si semblable à la sienne. Aucun élément tangible, aucun argument acceptable ne soutenait ce qui n’avait même pas l’allure d’une théorie, tout en instinct et en inclination secrète, et l’on ne pouvait que craindre pour la survie d’un innocent si prompt à écouter ses intuitions en un pareil moment. La commisération se révélait superbe, l’altruisme tout aussi estimable ; cependant, à travers l’Histoire, de semblables vertus n’avaient point sauvé leurs détenteurs : Jésus Christ n’avait-il pas fini crucifié ? Malgré tout, de Pellegrue persévérait, sur une voie à l’issue obscure où sa propre force de conviction lui servait de lanterne, illuminant les ténèbres alentour. Quand un homme refusait de seulement reconnaître qu’il s’aventurait sur une déclivité dangereusement glissante, il n’y avait plus rien à faire pour lui.

Fort heureusement, l’effet sur l’importun fut immédiat, miraculeux, même, à la manière d’une mélodie d’un charmeur de serpent hypnotisant un cobra royal. Dès qu’il sentit que Guilhem avait mordu à l’hameçon, le prêtre se détendit tout à fait, conscient de l’avantage qui venait de lui être concédé, presque autant par chance que par talent, car après tout, les mots d’Anthelme, malheureusement choisis, auraient très bien pu mettre en tête au chevalier que le réel fautif se trouvait être son employeur, auquel demander des comptes avec fort peu de civisme. Dieu, du moins pour cette fois, avait choisi de jouer dans le camp de Son disciple le plus zélé, et d’adouber sa démarche par la chance de tenter de conclure par une victoire complète ; le tout sous le sceau de l’intérêt commun, ce qui n’ennoblissait que plus la sortie à découvert du cardinal.

Aucun mot ne répondit aux excuses du guerrier, pas même un sursaut au son sourd du métal heurtant le sol, tout simplement car aussi spectaculaire qu’eût bien pu paraître toute cette scène, aucun réel dommage n’avait été causé, si ce n’était à des objets inanimés, et donc aisément remplaçables. Voir ce dernier presque s’effondrer sur une chaise finement ouvragée, au contraire, fut nettement plus inquiétant, et au combien plus attristant, tant il lui semblait voir toute la misère du monde posée sur les épaules pourtant massives de son vis-à-vis. Pour qu’une force de la nature de son acabit parût près de céder sans espoir d’en réchapper, il fallait que la situation fût grave, enfantée par un de ces écueils capables vous glacer simplement par la contemplation de ses effets malfaisants.
De longues secondes de silence avaient nimbé l’abandon du Templier, et alors que les traits de ce dernier venaient de s’effacer en partie à la vue de tous, de fatigue, de honte ou de regrets, Arnaud n’aurait su le dire, le cardinal décida de prendre le problème à bras le corps et de s’accaparer la barre de leur navire encore malmené :

-Sortez.

L’ordre, intimé plus qu’imposé, avait été ceint d’une autorité indiscutable, sous-jacente à une assurance paisible tel un fleuve, solide tel le granit, que bien peu auraient eu le cran de remettre en question. Quelques mouvements timides naquirent dans les rangs de leurs témoins auparavant statufiés, fragiles tentatives destinées à mesurer l’amplitude de mouvement leur ayant été rendue, tout prêts à fuir de plus belle si le colosse venait à revenir à la charge.
Incarnant cette hésitation, Cyrielle, toujours portée au maternalisme respectueux lorsqu’il était question du jeune archidiacre, ne parvint à retenir une question, consciente de potentiellement jouer leurs têtes –au sens propre comme au figuré- sur ce coup osé de poker :

-Êtes-vous sûr, Votre Excellence… ?

Bien évidemment, aucune proposition ne vint compléter sa phrase laissée en suspens, en une trahison pure et simple du souhait que tous, sauf le Girondin, nourrissaient : la liberté se trouvait à portée de main, ils en sentaient l’odeur et en éprouvaient déjà la suavité, le moindre faux pas équivaudrait à une aliénation volontaire à éviter à tout prix.
Pour la première fois, le saint homme quitta des yeux son gardien à bout pour ne lancer qu’un bref regard, aussi dépourvu d’équivoque que clôturant définitivement la discussion, à sa camériste :

-Tous.

Comprenant que l’aristocrate ne se répéterait pas une deuxième fois, la femme de chambre baissa la tête, confuse, avant d’initier la retraite et d’entraîner à sa suite la petite phalange de serviteurs sous sa responsabilité. Lorsque la porte se referma, le silence de nouveau les enveloppa, moins à l’image d’une couverture qu’à celle du froid de la nuit, pourtant douce du fait de l’été, brusquement refroidie comme si la détresse de Guilhem avait happé le peu de chaleur, humaine ou effective, qui eût pu survivre entre ces murs jusque-là. Paris s’étendait tout autour d’eux, le palais les entourait, aussi impénétrable qu’une mâchoire refermée sur eux, et pourtant, le religieux avait rarement eu l’impression d’être plus seul au monde qu’à cet instant, seul au chevet d’un grand blessé. La tâche, malgré tout, apparaissait à la hauteur de la persévérance et de l’attachement du bien né.

-Il n’y a point de mal, lui affirma Arnaud, sincèrement indifférent quant à son sommeil irrémédiablement gâché, aussi bien qu’au trouble causé par le coup de sang de son garde du corps.

Le regard du chevalier, cependant, manqua de peu de le faire se sentir mal à l’aise, comme étudié alors que dépourvu de tout apparat, de Pellegrue n’avait nullement l’impression de se trouver à son avantage, loin de là, et même presque indécent. Son désir d’aider celui qui, si mal en point, lui faisait face le maintint parfaitement droit, quoi que la fraîcheur du bois, sous ses pieds nus, remonta le long de ses mollets en un discret frissonnement –à moins que ce ne fût la caresse des prunelles de de Villaret, embrassant sa silhouette si peu apprêtée, qui eût été à l’origine d’une réaction si involontaire, allez savoir. L’heure n’était aucunement aux introspections, si bien qu’Arnaud ne chercha pas à déceler le pourquoi du comment, trop occupé à sentir son cœur peu à peu être gagné par la douleur d’une compassion trop aigue.

La nouvelle, cœur du mélodrame ayant animé leur aile de la noble bâtisse, fut enfin révélée, jetant un éclairage nouveau sur les causes profondes d’un malentendu qui aurait pu coûter cher aussi bien au pauvre Anthelme qu’au chevalier, si ce dernier ne s’était pas trouvé sous l’aile d’un homme aussi compréhensif que le neveu du dernier Pape en titre. L’expression soucieuse qui marquait ses traits ouvertement depuis qu’ils se trouvaient seul à seul s’intensifia plus encore lorsque de Pellegrue vit à quel point son irremplaçable protecteur souffrait sous l’épaisse carapace d’indifférence qui, si longtemps, l’avait coupé tant bien que mal de toute souffrance, mais également de tout réconfort.

-Vous m’en voyez désolé…

Non pas de la mort de Pierrick, puisque visiblement, ce dernier ne se voyait nullement porté dans le cœur de Guilhem, mais bien de l’affliction qui en silence lacérait l’âme de l’apatride. Le Girondin possédait tout ce dont l’on pouvait rêver : richesse, titres, sagesse, réputation intacte et caractère accommodant, le tout à un âge encore peu avancé, et sous une apparence dont il n’avait pas à rougir ; plus que jamais, tous ces privilèges ne valaient rien, impuissants à soulager la peine d’un être pour lequel l’homme d’Eglise aurait voulu décrocher la Lune si cela avait suffi à lui rendre, ne serait-ce que brièvement, le sourire. La simple idée que son alter ego puisse aspirer au néant de la mort écharpait son cœur plus encore que tous les blasphèmes, tous les actes de cruauté.

-Oh, mon ami, ne dîtes point de pareilles choses… le conjura l’archidiacre, alors que ses beaux yeux d’un bleu lapis reflétaient sans fard à quel point sa dévotion auprès du malheureux ne connaissait que de maigres limites.

Son corps se mut de lui-même avant même que sa pensée ne l’exhorte à agir de la sorte : auprès de lui, il mit un genou à terre, lui qui, vêtu de soie et d’ors à l’ordinaire, aurait au contraire dû constituer, d’après toutes les règles jamais édictées, celui pour qui les mortels se prosternaient. L’instant d’après, ses mains, réunies en coupe, soutenaient délicatement celle de de Villaret conservant sans grande conviction l’anneau le reliant tout autant que sa rapière au domaine d’Allenc, en une parfaite métaphore de ce que leur lien représentait actuellement, un soutien indéfectible, délicat, à la nature indistincte, que pourtant bien des poètes auraient aimé faire rimer au doux mot qu’était la Romance.

-Il est vrai que parfois, le Tout Puissant nous met à l’épreuve, reprit le cardinal, yeux dans les yeux, peau contre peau, oh, si modestement, mais ce n’est que pour nous permettre de nous dépasser et de refuser de céder à l’abattement. Vous êtes en vie, Guilhem, je sais que cela peut paraître bien peu, je puis toutefois vous assurer que cela représente beaucoup, une chance inestimable de tout recommencer, de vous relever, plus fort qu’autrefois.

Dans la bouche de n’importe qui d’autre, de tels mots auraient sonné si faux, si artificiels, que l’injure faite au Templier n’aurait été que trop patente ; Arnaud, lui, vivait littéralement ce qu’il prêchait, avec l’aplomb des véritables croyants, ceux qui, s’ils sombraient un peu dans les ténèbres, se consumaient aux flammes du fanatisme le plus vorace. Ces préceptes, ces idéaux, constituaient autant les fondations du catholicisme que de la vie elle-même de de Pellegrue, l’unique vérité, la seule clé du bonheur, le seul but vers lequel tendre, et pour lequel se battre chaque jour, contre le péché autant que l’incroyance. Sa confiance en Dieu, par son éloquence autant que par la force qui se dégageait de son être, semblait apte à abraser toute velléité de doute, aussi dur que se reconstruire avec pour seul secours l’appui de la religion puisse paraître. Tout devenait simple, avec lui. Aussi bénéfique et lumineux que l’amour du Créateur.


Nous sommes chacun notre propre démon. Tumblr_mrd545KI3l1rxm9ewo1_400-Vous êtes un homme de valeur, je ne nourris aucun doute à ce propos. Il vous faut garder la Foi…

C’était essentiel, vital, même, et Arnaud, de peur de le voir commettre l’impensable, aurait accepté de l’en supplier, tant l’idée d’avoir à l’enterrer loin de toute terre consacrée suite à son suicide l’aurait affligé au-delà de toute expression. Au contraire, l’espérance de parvenir à lui faire remonter la pente éclaira son visage, avec le souhait qu’une semblable espérance germe dans le cœur de son vis-à-vis.


-Et puis si cela peut vous rasséréner… Il m’est sans doute possible de vous titrer, ajouta-t-il en haussant légèrement les épaules, comme si cette solution incroyablement basique, et ne nécessitant que de modiques moyens, allait tout régler en un claquement de doigts.

Pour l’archidiacre, de telles distinctions, que beaucoup adoraient lister jusqu’à avoir besoin de longues minutes pour se présenter de façon complète, jusqu’à leur dernière qualification, ne signifiaient pas grand-chose, si ce n’était une façon comme une autre de hiérarchiser la société, afin d’y assurer l’ordre ainsi que le respect des Saintes Ecritures –d’ailleurs, il n’avait songé si une telle prérogative faisait effectivement partie de ses attributions, ou non. Néanmoins, dans le cas où si peu de chose parvenait à remonter le moral de son ami, il n’hésiterait pas, d’autant plus que cela ne le dérangeait en rien. L’offre, certes quelque peu maladroite, pouvait sembler bien matérialiste, alors que de Villaret souffrait de la rupture entre lui, sa terre, sa famille, et par extension à toute une part heureuse de son passé qu’il ne retrouverait jamais ; ne sachant quoi faire pour lui, Arnaud s’était raccroché à cette fragile branche, qu’il échangerait pour n’importe quelle autre que l’Allencois lui préférerait, si semblable à un damoiseau prêt à se plier au moindre caprice de son précieux trésor.








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MessageSujet: Re: Nous sommes chacun notre propre démon. Nous sommes chacun notre propre démon. EmptySam 31 Oct - 19:42


Arnaud & Guilhem

when you are angry and out of control, you are temporarily insane.

Les orbes fanés de de Villaret se mouraient dans le silence d’un truisme ineffable – cette sublime vérité aux airs charognards picorant la sapience du chevalier et lui faisant, sinon broyer du noir, au moins concasser l’équité de ses pensées. Il peinait à voir ce qui dans sa piètre situation était à saluer. Pis encore, il quêtait dans cet aveux d’abrogation existentielle la force de donner à sa palabre la robustesse de l’acte. Oui. Il pensait ce qu’il disait. Les flots éthyliques ripant dans son organisme n’avaient à rougir de rien. La boisson n’était pas l’instigatrice d’un tel défaitisme, tout au plus attisait-elle ce qui ronflait en le for intérieur du noble éploré. Cette nouvelle avait été de trop, noyant la déjà maigre chaloupe sur laquelle voguait malhabilement l’Allencois sous les trombes scélérates de l’Acharnement. Venait le temps où ses armes Mental et Foi n’avaient plus de poids, fourbies et rossées de tous côtés par chacun des actes venimeux de ce destin faisandé qui était devenu sien. La guerre, il ne l’avait point quittée. Elle continuait depuis une décennie à verser dans l’horreur entre les parois de son crâne, ricochant en étincelles ignées jusqu’au roi son cœur, monarque tant épuisé par les cabales de l’esprit que par le poids des chagrins et remords qu’alimentait le kaolin de sa mémoire. Tout cela avait été incubé par les airs laconiques du sieur, occultant en telle ridule ou tel flegme ce qui se pétrifiait en fait de l’intérieur. Aussi ce prisme dolent n’aurait pu s’abîmer d’aucun mot proféré par autrui, tant le sylphe avait d’ores et déjà creusé sa tombe à mains nues.

Mais là où se distinguait le séraphique compagnon c’était qu’à son phonème il avait eu l’audace de nieller quelque authentique geste. Une chaleur humaine comme on n’en rêvait plus en ce Bas-Monde, une aménité de prince miséricordieux qui aurait pu chasser les ténèbres du plus sordide des renégats. Ainsi prostré aux pieds de Guilhem, Arnaud sut émouvoir celui qui avait décidé de ne plus sentir. La tiédeur des paumes embauma les pâles lazurites qui suivirent la gestuelle avant de nidifier leur affection sur le faciès de l’Ingénu. Vivre. Voici ce qu’il lui restait. Vain contentement lorsqu’on était perclus des plaintes gloutonnes que charroyaient une morosité tenace. Il ne se voyait guère persévérer, pas davantage lorsqu’une telle pugnacité avait commencé à un âge déjà trop jeune ; dès sont départ pour l’Orient à l’aube de sa dix-huitième année, il avait déchaîné ce qui perdurait encore aujourd’hui. Sa combattivité. Et Dieu seul savait à quel point il avait fait montre d’ardeur combattive devant chaque disgrâce et infortune de sa vie. « Tout recommencer… » L’écho enthousiaste du Girondin s’était perdu dans l’âpre ravin du poitrail masculin. L’idée ne tira chez le Templier qu’un froissement de sourcils étêtant la cime de l’arête nasale. Un soupir pesant détrôna son regard qui s’écroula derechef sur sa paume fermée où gîtait l’or symbolique. Et pour quoi faire, turent ses lippes closes. Il avait dilapidé près de vingt années à se fourvoyer. Jamais il ne les retrouverait, pas plus qu’il ne retrouverait la piété suffisante d’oublier ses démons et peines. Il aurait fallu exorciser la Désolation prise entre ses os, pour ne serait-ce que l’aider à se mouvoir sans le fardeau de ses chaînes. Un fade sourire rétorqua aux propos visionnaires comme s’appesantissait la main de de Villaret dans celles solives du prêcheur – tendre insistance aux relents modestes, mais calfeutrée entre les chairs de telle sorte à ce qu’elle ravive, en effet, les brandons étouffés du paladin. S’il ne souhaitait plus croire en rien, moins encore en l’Omnipotence siégeant dans l’empyrée, une chose néanmoins lui faisait garder pieds à terre. C’était ce portrait séide nimbé d’un heur tel, que l’on eût cru frôler des doigts le Paradis personnifié. Il lui fallait profiter de cette aubaine. Car ne l’attendaient Au-Delà que les flambeaux d’un Pandémonium caniculaire, où le licheraient flammes et cris vagis par de profondes fosses punitives. Jacques de Molay en avait fait les frais sur Terre, prédestinant à chacun des Frères ce qui les attendrait tôt ou tard. Car l’Église s’était détournée. Car le Seigneur lui-même s’était détourné. Car chassés des Cieux, à l’image d’Anges Déchus, ils avaient tous été. Et ceci jusqu’à en ratifier les registres de l’Histoire de l’Homme du sceau de l’abjuration. C’était écrit noir sur blanc : sus à son âme.

Alors, oui, de cet Éden il profitait, de l’aurore au crépuscule et pour chaque jour qui passait. Arnaud de Pellegrue était, sans conteste, l’unique Foi qui le faisait encore traîner sur le sentier de l’existence. Aussi lorsque l’éphèbe se permit quelque impensable largesse à l’égard du Gévaudanais, celui-ci prit mouche. Tant par l’audace insufflée que par l’évocation tacite d’une lubie – d’un caprice ! – à rassasier. La stature du déshérité se redressa, emportant avec lui et sa lame et ses plaies sur lesquelles, inconsciemment, l’Ecclésiaste avait versé le sel abrasif de l’offense. « Ah ! La vanité. Péché Ô combien usuel entre ces murs de castel. Auriez-vous l’audace de m’en prêter les atours ? » Le phonème, bien qu’ayant gardé la teneur alcoolisée rendant la langue traînante et les syllabes frustres, dégageait de la nébulosité léthargique une colère évidente. La boisson éclipsait son discernement – jamais il n’aurait, en temps normal, accusé le cardinal ni de la sorte, ni d’une telle entorse à leur amitié. L’ivresse régurgitait tout le Pire de son intellect, orgueil, acrimonie, et férocité, tandis que restait le Meilleur enfermé dans son buste rocailleux. Le Vilipendé, comme pour raffermir sa fierté, remit sa chevalière là où elle avait toujours été, avant de passer près de la couche dérangée de de Pellegrue et d’y déposer son arme – inconsciemment, sans conteste. Dos à l’intéressé, il avait ensuite abouté ses poings à ses hanches, cheminant de quelques pas comme un bœuf piétinant son enclos. « Peu me chaut d’obtenir un titre. Serais-je fait Duc des imbéciles que cela serait égal ! Je pleure mes terres, celles qui somment chaque parcelle de mon être à revenir en leur giron. Je pleure la trahison, celle de mon Sang qui, analogue aux acteurs du désastre qu’a été ma charge de Chevalier du Temple, fait saigner mon cœur. Mais je ne suis point quelque rat avide comme il en clopine dans ces corridors, trottant aussi bien sur les vertus que sur toute dignité ! Maudits soient-ils tous, oui ! Damnés jusqu’aux Enfers où je me ferai une joie de les y traîner, quand bien même il faille sceller les chevaux de l’Apocalypse pour pouvoir charrier la vaste carriole de tous ces félons réunis ! » Et ce disant il fit volte-face si brusquement qu’il tomba nez à nez avec l’adonis. À conspuer aussi manifestement, il n’avait pas entendu le cardinal approcher, et la proximité enrôlée si diligemment coupa le sifflet du véhément homme. Un silence inopiné qui atrophia les grondements et fit s’entrechoquer les prunelles entre elles. Ils n’avaient jamais été aussi proche l’un de l’autre. Porté par l'aplomb de son ébriété, de Villaret brandit alors sa sénestre et en coula la paluche sur la nuque du religieux, enlaçant la carne comme l’aurait fait un frère bienveillant. Ses yeux luirent d’une fièvre solliciteuse. Au Diable, vraisemblablement, le protocole. Plus bas, il poursuivit. « Comme j’abhorre vous savoir en ce lieu, si vous saviez. » À l’haleine viciée d’alcool se mariait aussi bien la ferveur sincère du verbe. Les doigts, en partie enlacés dans les courtes mèches brunes, choyèrent d’une brève caresse le cuir chevelu. « Vous êtes mon Adam, et je vois tous les saints jours cet odieux serpent vous tourner autour, s’enrouler à vos pieds et chercher à vous faire choir. Ce coruscant galetas n’est pas fait pour vous, Arnaud… Officier à la cour ne vous oblige en rien à rester prisonnier de sa cage. Des titres, je n’en veux pas, non. Ce que je veux, c’est vous préserver de la folie de ce Monde. Je n’y ai que trop goûté pour laisser ce poison vous atteindre. »
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Le loup

Le secret dévoilé
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Arnaud de Pellegrue


Arnaud de Pellegrue
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MessageSujet: Re: Nous sommes chacun notre propre démon. Nous sommes chacun notre propre démon. EmptyDim 22 Nov - 20:25


Nous sommes chacun notre propre démon. 535435tumblrm9foj8cnM91qj40aw Nous sommes chacun notre propre démon. 996185fassbenderm8
De battre mon coeur s'est arrêté
At times I think we're drifters still searching for a friend, a brother or a sister, but then the passion flares again. And sometimes when we touch, the honesty's too much and I have to close my eyes and hide. I wanna hold you til I die, til we both break down and cry, I wanna hold you till the fear in me subsides. You ask me if I love you and I choke on my reply. I'd rather hurt you honestly than mislead you with a lie, and who am I to judge you on what you say or do ? I'm only just beginning to see the real you.





Il existait des combats perdus d’avance, mais Arnaud refusait de les voir. Dieu inspirait ses pas, ses projets et ses batailles contre l’injustice de ce monde terrestre tenaient fermement tête à toute notion d’échec, et le cardinal sentait sa volonté plus que jamais prête à pourfendre la moindre difficulté qui se mettrait en tête de lui barrer la route ; qu’on se le tienne pour dit, il n’abandonnerait pas ! Sa posture, au fond, et sous l’épaisse mais non moins sincère couche de pitié, si aigue qu’elle semblait former une  corde entre eux tendue au point d’en trembler, ressemblait fort à cet entêtement nimbé d’un halo sacré propre aux missionnaires catholiques. Ces derniers employaient toute leur énergie à enfoncer dans le crâne de pauvres impies à quel point leur Dieu serait à même de les sauver, et de façon tout aussi opiniâtre, de Pellegrue avait décidé que sa très estimée âme damnée finirait par être heureuse. Quel droit avait-il d’ainsi juger de ce qui devait être ? De la meilleure façon pour le chevalier de passer le restant de ses jours sur Terre ? Au nom de quoi savait-il mieux que son ami ce dont ce dernier avait besoin ? Après tout, il s’agissait de la vie du Lozérien, et de personne d’autre. Le malheur constituait un choix de vie tout à fait valide, au moins autant du moins que l’optimiste combattif que le religieux prônait avec tant de conviction ; la notion de liberté individuelle faisait que quel que fût le choix du guerrier, autrui devait se résoudre à le laisser s’offrir à la voie qu’il désirait suivre, aussi sombre et sans issue puisse-t-elle se révéler, sourd aux conseils et aux vaines tentatives de le retenir. Une notion qui se conjuguait fort mal avec la philosophie chrétienne, néanmoins… Et puis diantre, qui aurait laissé son meilleur ami se laisser sombrer sans réagir ? La loyauté tout autant que son éducation empêchait le bien né de s’avouer vaincu, quitte à se montrer des plus intellectuellement despotiques. Il y avait éventuellement même à craindre qu’un instinct plus secret et plus sombre n’alimente une semblable croisade : le souhait inconscient de constituer le seul vecteur de la félicité du malheureux. Le tirer des abysses resserrerait sa prise sur lui pour mieux bâtir autour de lui un cocon à la fois confortable et sécurisant, une prison n’en ayant pas l’air où il serait certain de pouvoir prendre soin de son ami, jusqu’à ce que ce dernier soit de nouveau capable de voler de ses propres ailes –un jour prochain, un jour lointain.

La réaction à la fois honorable et passionnée de son hôte ne se révéla pas si surprenante que cela. Bien évidemment, le scénario le plus idyllique aurait été illuminé par un accord arraché du bout des lèvres, aux accents d’hésitations et de ronchonnements ravalés, une chimère que même un idéaliste de la trempe d’Arnaud avait su peu plausible. Il lui faudrait composer avec la fierté vexée du Templier, lui qui, abandonné près de la chaise, mains appuyées sur l’accoudoir, offrait un tableau qui, à peu s’en fallait, tenait de la pose d’un tragédien grec, seul face à son triste sort. Son regard suivit durant une poignée de secondes le galbe des épaules de son irréductible interlocuteur, avant que son cou, ne pouvant pas se torsader plus pour suivre le monologue enflammé de Guilhem, ne reprenne une position plus naturellement confortable, ce qui plaça définitivement de Villaret dans son dos, complètement hors de son champ de vision. Une discrète expiration le fit passer dans la nouvelle phase de son combat, celle où il lui faudrait s’armer de patience ainsi que de tact, et non plus que de dévouement. Il avait été à prévoir que le ténébreux maître d’armes se cabrerait avec la furie d’un cheval sauvage cherchant à briser ses entraves, et ce serait avec la gravité d’un diplomate habitué à cheminer en terrain miné que l’archidiacre tâcherait de désamorcer le réveil du volcan dont le repos, quelques instants auparavant, avait constitué son Saint Graal.  
Résigné, il se releva, se préparant mentalement à nuancer son propos : il n’était évidemment pas question d’acheter l’honneur de l’Allencois, ni de minimiser la forfaiture de Pierrick, simplement de relativiser. Certes, la rupture avec sa terre natale constituait une blessure affreuse, cependant, cela n’amenuisait point ses qualités de gentilhomme, desquelles pourrait bénéficier un nouveau fief en mal de seigneur. Ainsi, Guilhem pourrait s’occuper l’esprit, et peut-être, oh peut-être, se prendre au jeu, pour peu à peu retrouver un semblant de stabilité personnelle, une forme d’épanouissement besogneux. Cela ne l’empêchait nullement de continuer à prétendre au titre de feu son frère, cependant nullement désœuvré, ni convaincu de n’avoir aucune valeur. Sa colère actuelle le tirait d’une ataraxie périlleuse ; ne restait plus à présent qu’à réorienter cette énergie vers un but concret, plus productif.

Dans son mouvement, c’est vrai, du fait de son raisonnement intérieur accaparant son attention, sa vue le trahit, de même que ses réflexes : en une brève seconde, tout sembla basculer, alors que machinalement, Arnaud avait remonté ses avant-bras contre son torse, comme il l’aurait fait pour se protéger d’un choc contre une haute muraille. Un souffle d’alarme le saisit à la gorge, et la proximité avec le chevalier le frappa avec la violence d’une pluie cinglante, distillant en lui une crispation qui ne fut nullement amoindrie par la prise s’abattant sur son cou, vecteur d’une sensation d’impuissance immensément oppressante. Plus que le simple souci du respect des règles,  un instinct de survie faillit lui faire repousser Guilhem avec une violence née d’un accès de peur irraisonné. Résister à cet aiguillon d’affolement fut extrêmement ardu, mais de Pellegrue prit sur lui, piégé par la poigne du colosse qui occupait à présent tout ce que son être pouvait bien percevoir par le biais de quatre de ses sens. Une réaction trop brusque de sa part serait capable de réduire à néant le peu de progrès effectués auprès de de Villaret, tant la confiance s’avérait être une petite chose fragile, si longue à bâtir, si aisément effacée. Par un effort sur lui-même qu’il aurait difficilement cru possible de sa part, Arnaud ravala son angoisse, pour mieux l’enfermer au fond d’un coffre-fort, logé au fin fond de son cœur. Auprès d’elle se trouvait déjà un embryon de quelque chose d’indéfinissable, un rien en signifiant tellement, un murmure que le religieux ne se permettait pas d’entendre, à aucun prix, même alors qu’il se trouvait presque dans les bras du Templier. Un mince espace les séparait encore, vide artificiel aux allures de contact bel et bien réel, et tout en maîtrisant le rythme de son souffle pour mieux regagner l’entier contrôle de son être, le Girondin se résolut à trouver que ce n’était pas si mal que cela. Il n’existait pas de véritable raison valable de s’effaroucher de la sorte : à première vue, il se trouvait question d’un simple geste fraternel, pas de quoi fouetter un chat. Le prêtre n’avait jamais été proche de ses frères aînés, si bien qu’il ne se voyait pas au fait des marques de bonne camaraderie émaillant une relation de franche entente entre deux hommes –une cause tout à fait plausible à son trouble, n’est-ce pas. Il n’y avait aucun mal à s’instruire des us et coutumes en vigueur, en matière d’amitié viriles dépourvues de toute équivoque…

Encore un peu mal à l’aise, l’archidiacre tenta du mieux qu’il put de dédramatiser leur tête-à-tête, alors au bord d’un gouffre étrange, dont il n’avait nullement le courage d’observer les abysses. Par prudence, son regard fuyait celui de Guilhem, symptôme de sa gêne, que son faible sourire se voulant détendu étiolait à peine :

-Voyons, quelle utilité aurais-je donc, loin de ceux à qui manque la Lumière des Cieux ?

L’interrogation, quoi que posée de façon rhétorique, comme pour tenter un trait d’humour malhabile, n’était effectivement pas sans fondement. Sa tâche constituait à soulager la peine des oubliés de Dame Fortune, ainsi qu’à convaincre les pécheurs de se repentir : au milieu d’un royaume de bons Chrétiens, suivant aussi fidèlement que spontanément les Saintes Ecritures, le clergé aurait perdu toute raison d’exister.

-Et puis… Ne serez-vous point là pour me protéger… ?

Pour sa seconde question, son ton n’avait pas réussi à se montrer aussi détaché qu’un échange des plus communs l’aurait nécessité. Les talents du soldat ne laissait aucun doute quant à ses capacités à mener à bien sa mission ; à ce sujet, la confiance du bien-né s’avérait totale, aussi pure que celle le poussant à croire que le Gévaudanais était un homme bien.

Et puis il y avait ce corps, cette force animale qui l’habitait à la manière d’un flambeau, contre laquelle rien ni personne n’aurait été en mesure de résister… Une pensée ne devant en aucun cas contaminer l’esprit de l’ecclésiaste : s’il l’avait laissée percer la surface, d’autres lui auraient emboîté le pas, comme le souhait aussi inavoué qu’inavouable que la main de son protecteur se soit arrêtée plus tôt, laissant ainsi son pouce caresser sa joue, ou encore que le bras libre du Croisé enserre sa taille pour mieux l’attirer encore plus près…

Non, cela ne saurait être, pas sans qu’Arnaud n’y oppose ses forces.

Déglutissant doucement, il eut l’audace de relever le nez pour le regarder droit dans les yeux, une erreur sans doute, une preuve qu’il souhaitait leur donner, à tous les deux, que nulle atypie n’avait germé dans ce moment sans pareil. Tous ses mots, en définitive, n’avaient eu pour unique but que celui de faire parler le guerrier, et d’ainsi enterrer un silence que de Pellegrue n’était pas certain de pouvoir supporter, des paroles qui à présent se voyaient tarries, faute de toute nouvelle idée pour leur donner une suite.

L’alcool dans le souffle de Guilhem semblait commencer de troubler ses sens, autant que la façon que ce dernier avait eu de prononcer son prénom, ou de le dire sien, de façon imagée certes, mais avec ce déterminent possessif qui se répétait en boucle dans sa tête, obsédant, quoi que sans commune mesure avec le regard de son vis-à-vis. Ce regard, mon Dieu. Ces iris d’un gris si perçant, mettant à mal toute protection, toute tentative de se cacher. Ce magnétisme qui, progressivement, le happait pour ne plus le laisser en paix.
À quelques reprises, alors que par le passé de modestes pauses avaient entrecoupé les longues conversations qu’il leur arrivait d’avoir, et que Guilhem lui avait offert son profil, regard porté au loin, l’homme d’Eglise s’était parfois demandé ce que cela ferait, de sentir ses lèvres se presser contre les siennes, une idée si folle qu’il se raisonnait avec étonnement, se reprenant comme après avoir proféré une sottise sans conséquence. Sous le fervent examen de son garde du corps, le croyant ne savait plus vraiment où il en était, là où peur et tristesse se mêlaient, envers un péché qu’il se refusait à commettre, ainsi qu’une modeste envie qui ne se verrait jamais assouvie.

-… Lâchez-moi… demanda-t-il d’une toute petite voix, à la fois sur la défensive, et de façon tellement penaude.

Une prière officieuse ne parvenant même pas à lorgner du côté de l’ordre, et que son visage, ceint d’une lointaine expression, à la fois inquiète et chagrine, ne rendait que plus pitoyable. Oh, Arnaud avait tant envie de s’en aller, de s’arracher à son aura, quitte à devoir affronter maints regrets inconscients, et la mélancolie de n’avoir le droit de l’atteindre, lui l’objet de ce sentiment indéfinissable, là, niché au creux de ses tripes. Il lui fallait retrouver un environnement plus clément envers sa tranquillité d’âme, une distance qui le sauverait, éclaircirait la brume entre les parois de son crâne autant que l’émoi à peine naissant, à la surface de son cœur.

C’était un appel au secours, un paradoxe -le "lâcher", alors qu'il venait de rappeler que de Villaret se devait de veiller sur lui-,une requête à ce qu’avorte la naissance d’une telle torture, encore si timide, si chargée de promesses, malgré sa primeur de bouton de fleur sur le point d’éclore.








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